L’année 1960 est connue comme l’Année de l’Afrique, parce que c’est cette année-là que dix-sept pays africains ont obtenu leur indépendance. Le Père Apollinaire Cibaka Cikongo, prêtre congolais et doyen de l’Université officielle de Mbujimayi, ne voit pourtant pas là l’occasion de faire de grandes célébrations.

Propos recueillis par Maria Lozano.

AED : Vous avez récemment déclaré que ce sont 60 années d’échec qui ont fait de l’Afrique le continent de la violence. Cette analyse n’est-elle pas trop sévère ?

Apollinaire Cibaka: Non, c’est la vérité. La configuration actuelle de l’Afrique noire n’est pas le résultat d’une dynamique positive, mais d’une dynamique de violence causée par la conquête occidentale de l’Afrique : la traite des esclaves noirs, la colonisation, les fausses indépendances, la guerre froide, les dictatures et les apparences de démocratie. Activée à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, cette violence est constitutive de l’Afrique noire. Cette dernière est donc une entité géopolitique construite sur la violence, souffrant de la violence et vivant de la violence.

Cette violence se manifeste dans les guerres qui ont marqué ces 60 années d’indépendance et continuent encore aujourd’hui en Afrique. Pourquoi ?

Chaque année, la violence physique tue des milliers de personnes. Il y a beaucoup de facteurs qui font éclater ces guerres, mais je vais en souligner trois : le premier, les « coexistences ratées » causées par des configurations géopolitiques artificielles. Des intérêts internes et externes de pouvoir manipulent et dressent les différents peuples africains les uns contre les autres. Deuxièmement, les guerres causées par la cupidité, par les intérêts économiques de certains groupes autochtones et puissances internationales. La lutte pour le contrôle et l’exploitation de ses immenses ressources humaines et naturelles coûte de nombreuses vies à l’Afrique. Enfin, il y a les guerres de religions par lesquelles les peuples et les cultures sont convertis de force, et qui, dans le cas de l’islam, prennent actuellement la forme d’un terrorisme violent, aveugle, absurde et gratuit au nom de causes qui n’ont rien à voir avec les intérêts vitaux des africains.

En Afrique, plus il y a de ressources naturelles, plus la population souffre de pauvreté et d’abandon. Qu’est-ce qui fait que

cela ne change pas après 60 ans d’indépendance ?

Il ne faut pas oublier que notre économie repose sur les intérêts des grandes puissances qui nous ont soumis, ainsi que des nouvelles puissances qui viennent d’Asie. Encore aujourd’hui, elles en retirent plus de profit que les propriétaires eux-mêmes, en raison des lois d’un marché cruel. Mais par ailleurs, l’économie n’a pas été en mesure de se développer ou de se diversifier. Elle ne va pas au-delà de l’extraction, de la collecte et de la vente à l’état brut. Nous achetons ensuite les marchandises à un prix élevé, sur des marchés dominés par les autres. Mais il y a aussi l’économie du gaspillage et du vol dans les pays eux-mêmes : le peu qui reste dans le pays n’est pas géré pour le bien de tous les citoyens, mais pour les besoins et les caprices de ceux qui détiennent le pouvoir étatique et leurs élus.

Certains des partenaires de projet de la Fondation AED se plaignent d’une « soumission sociale » dans le domaine culturel. Même les institutions d’aide internationale leur imposent des conditions qui affecteraient la vision du monde qu’ont les Africains… est-ce vrai ?

Oui, il s’agit d’une violence culturelle de la part de puissances extérieures et de groupes d’intérêts qui nient les valeurs culturelles africaines bien ancrées, afin de nous imposer des coutumes étrangères, souvent contraires à la loi naturelle. Cela a lieu principalement dans les domaines de la vie et de la famille, par de fortes pressions économiques, diplomatiques, politiques et culturelles. Et c’est aussi une violence anthropologique parce qu’elle nous prive des droits à la liberté de décision qui appartiennent à tous les êtres humains. Je crois que c’est le principal héritage de la traite des esclaves, qui a transformé l’Afrique en un véritable enfer. La condition noire souffre depuis des siècles d’un dénigrement, venu non seulement de l’extérieur, mais aussi d’un « racisme contre soi-même » du fait de l’intériorisation par les africains de leur statut de « non-humain ».

Nous soutenir

Votre soutien nous est nécessaire

Apportez votre pierre à l’édifice, donnez et vous recevrez ! « Donnez et il vous sera donné : on versera dans votre sein une bonne mesure, serrée, secouée et qui déborde ; car on vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis. » (Luc 6, 38)

Faire un don Tous les moyens d'aider
Faire un don