Du 5 au 7 mai, le pape François accomplira un voyage apostolique en Bulgarie. Un pays à forte majorité orthodoxe où l’Église catholique, discrète, subit une nouvelle législation sur la liberté religieuse.

La Bulgarie a assuré la présidence tournante de l’Union européenne durant le premier semestre de 2018, attirant quelque peu l’attention sur le membre le plus pauvre de l’Union européenne. A vrai dire, ce ne sont ni les efforts du gouvernement conservateur de Boïko Borissov pour se montrer un bon élève de l’Europe, ni le titre de Capitale européenne de la culture attribué pour 2019 à Plovdiv, la seconde ville du pays et la plus dynamique, qui ont attiré l’attention sur ce petit pays balkanique, mais plutôt  les affaires. Celles-ci ont défrayé la chronique : affaires d’espionnage, avec à nouveau une « piste bulgare »  dans la tentative d’assassinat de l’ex-espion russe Sergei Skripal et de sa fille, affaire criminelle du meurtre d’une journaliste d’investigation, affaire des « passeports dorés » accordant trop libéralement la nationalité bulgare et donc la libre circulation en Europe à des personnages fortunés douteux, affaires de filières djihadistes, … Sur le plan religieux, la grande affaire de 2018 a été la loi sur le financement des cultes. 2019 devrait être celle de la visite du pape François, au mois de mai.

Les gouvernements successifs du pays sont depuis longtemps attentifs à une possible radicalisation au sein de la communauté musulmane, qui dépasse les 10% de la population. Une crainte avivée ces dernières années par des infiltrations au sein de cette communauté, qui réside surtout dans le sud du pays, de prêcheurs islamistes radicaux venus de la Turquie voisine. En 2000 déjà, une loi sur les cultes votée par le Parlement bulgare avait posé les bases d’un certain contrôle des financements extérieurs.

Une loi restrictive

Au printemps 2018, les principaux partis politiques, tant de la majorité que de l’opposition, se sont accordés sur un projet de loi beaucoup plus restrictive. Pour le parti au pouvoir, ce projet ne vise qu’à empêcher l’arrivée de financements et de prédicateurs islamiques radicaux.

Dévoilé le 4 mai au Parlement de Sofia, il prévoit un financement par l’État des confessions religieuses  dont le nombre de fidèles est supérieur à 1 % de la population à raison de 5 euros par fidèle, mais aussi que « les financements étrangers pour toutes les confessions  soient interdits sauf approbation préalable de la Direction des religions ». Cette mesure désavantagerait donc toutes les confessions sauf la religion orthodoxe (60 % de la population) et l’islam sunnite (environ 9 %). Tant les catholiques (0,66 % de la population) que les protestants (0,87 %) se verraient privés de toute aide extérieure. Pour Mgr Christo Proykov, exarque gréco-catholique de Sofia et président de la Conférence des évêques bulgares, on crée ainsi une disparité entre les confessions puisque les fonds n’iraient qu’à deux d’entre elles, et ce projet aurait de graves conséquences pour l’Église catholique. Celle-ci est en effet soutenue dans sa reconstruction après la persécution communiste.  En vertu de cette loi, ses écoles  devraient être dirigées par un orthodoxe ou un musulman. La loi interdirait aussi à un prêtre étranger de prêcher, qu’il soit de passage ou installé depuis des années dans le pays. Une autre source d’inquiétude vient de ce que la loi prévoit que désormais les ministres du culte devront avoir été formés en Bulgarie.

Le 4 octobre 2018, le Parlement bulgare a voté en première lecture le projet en l’état, malgré les protestations non seulement de confessions minoritaires mais aussi des deux principales confessions par la voix du Synode de l’Église orthodoxe et du grand mufti de Bulgarie, pourtant bénéficiaires dans ce projet. Les protestants évangéliques ont attiré l’attention sur le fait que le projet donne à l’administration un pouvoir politique dans la direction des cultes et des activités religieuses, ce qui est contraire aux principes de liberté religieuse auquel l’Etat bulgare a souscrit. De même Mgr Proykov, faisant remarquer que l’Église catholique est présente en Bulgarie depuis des siècles, considère que le projet établit une discrimination religieuse. De leur côté, les Eglises protestantes ont mené campagne contre ce projet de loi. Selon l’Alliance baptiste mondiale, 128 églises de cette confession risquaient de devoir être fermées. Les semaines précédant le retour du projet devant le Parlement, des milliers de personnes, surtout des protestants évangéliques, ont manifesté à Sofia.

5 euros

Suite à ces protestations, le Parlement a décidé de réviser le projet et a suspendu le vote final de la loi controversée. Retrait tactique ou abandon prévisible ? Le 21 décembre, la version votée est centrée sur les subsides accordés aux religions dépassant le seuil du 1 % de la population – 7,5 millions d’euros, dont l’essentiel sera attribué à l’Église orthodoxe.

Un mois après le vote de la loi sur le financement par l’Etat des deux principales religions bulgares, le patriarche Neofyt a demandé au gouvernement bulgare de prendre en charge les salaires de son clergé avec une dotation supplémentaire de 2,5 millions d’euros.

Dans le même temps, l’Église orthodoxe a réagi avec vigueur, début février 2019, contre le plan décennal du gouvernement bulgare en faveur de l’enfance. Insistant sur son opposition à plusieurs dispositions de ce plan, l’Église orthodoxe a demandé à nouveau l’interdiction de l’avortement et de l’enseignement de la sexualité à l’école. 

70 000 catholiques

L’Église orthodoxe de Bulgarie, dans le contexte actuel de déchirement du monde orthodoxe, est récemment intervenue sur deux dossiers chauds. Sur la question de l’autocéphalie ukrainienne, pomme de discorde entre Constantinople et Moscou, le Saint-Synode a décidé, fin janvier 2019 … de ne rien décider – signe sans doute de division en son sein entre les tenants d’un soutien fort au Patriarcat de Moscou et ceux d’une position visant à ne pas déchirer plus l’unité entre les Églises orthodoxes. Pour ce qui est de la Macédoine, où l’orthodoxie est divisée entre Autocéphales qui ont rompu avec Belgrade et Autonomes qui ont conservé un lien après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, le Saint-Synode bulgare a déclaré en janvier 2019 qu’il poursuivait sa réflexion en vue d’une éventuelle reconnaissance de l’Église autocéphale de Macédoine, entamée en 2017 avec prudence, car le patriarcat de Belgrade en fait un casus belli tout comme celui de Moscou sur l’Ukraine.

Les évêques catholiques sont montés au créneau contre la nouvelle loi religieuse, en particulier pour sauver les autorisations de séjour des prêtres et des religieuses de nationalité non-bulgare qui se sont mis au service de la reconstruction de leur Église, mais l’Église catholique se signale en général par sa discrétion.

Ainsi, les 70 000 catholiques de Bulgarie, environ 60 000 de rite latin et 10 000 gréco-catholiques, espèrent beaucoup de la visite du pape François, et d’abord qu’elle permette aux communautés catholiques du monde entier de découvrir leur existence. En 2002, la visite du pape Jean-Paul II avait permis de débloquer des autorisations, en particulier pour la reconstruction des lieux de culte victimes de la période communiste. C’est ainsi que l’église saint Joseph de Sofia, desservie par les Capucins, a pu être rouverte en 2006.

Ses activités religieuses, d’éducation et de service social accaparent l’Église catholique. La Caritas locale est très active pour les réfugiés et les pauvres de la société bulgare, dans les villes mais aussi dans les villages éloignés. C’est ainsi qu’à Plovdiv les sœurs de Mère Teresa accueillent des sans-abris et nourrissent des familles nécessiteuses.

Cette relative discrétion n’a pas empêché Mgr Proykov d’intervenir publiquement contre le projet d’enseigner la distinction homme-femme dans les écoles comme une construction sociale. 

Les relations avec l’Église orthodoxe ne sont pas faciles, le Saint-Synode orthodoxe étant hostile à l’œcuménisme. Une hostilité loin d’être partagée par tous les fidèles orthodoxes si bien que, localement, les relations peuvent être bonnes. L’Église catholique attend beaucoup de la rencontre programmée entre le pape François et le patriarche Neofyt.

Extrait de L’Eglise dans le monde, le magazine de l’AED (n°193)

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