Le pays traverse depuis 2015 une grave crise politique, provocant la mort ou l’exil de milliers de Burundais. En cause, le 3e mandat du président que l’opposition juge contraire à la Constitution. Interview de Mgr Joachim Ntahondereye, président de la Conférence des Évêques du Burundi.

AED : Quelle est l’origine de la crise politico-sociale que traverse le pays?

Notre pays est en crise à cause d’une interprétation divergente de l’article 96 de la Constitution qui stipule que le président est élu au suffrage universel pour un mandat renouvelable une fois. Le président considère que l’article ne l’empêchait pas de briguer un 3e mandat car, lors du 1er, il n’avait pas été élu au suffrage universel mais seulement par les deux chambres du Parlement. Il s’estime donc dans son droit. L’opposition n’est pas d’accord.

Quelle est la situation aujourd’hui dans le pays ?

Elle s’est nettement améliorée ces derniers mois. Maintenant on peut circuler de jour comme de nuit sans grande difficulté malgré quelques postes de contrôle. Cependant, il y a encore ici et là des arrestations et des disparitions arbitraires dont on ne parle pas mais qui sont une réalité. Quant à l’économie du pays, elle a été fortement affectée. L’appauvrissement de la population s’est beaucoup accrue, les prix ont flambé, la monnaie a perdu de sa valeur…

Combien de Burundais ont fui le pays ? Où sont-ils ?

Difficile d’avoir des chiffres exacts. Le HCR parle de 420 000 personnes mais le gouvernement rejette ce chiffre. Il existe 2 camps de réfugiés en Tanzanie, 1 au Rwanda et 1 autre au Congo. Malgré nos demandes, aucun évêque du Burundi n’a encore pu visiter ceux de Tanzanie, faute d’autorisation. Au Rwanda en revanche, j’ai vu leurs conditions de vie très précaires. Les premiers réfugiés à revenir au pays arrivent de Tanzanie. Déjà plus d’1 millier. D’autres hésitent car, même si la situation s’est améliorée ces derniers mois, le problème n’est pas résolu pour autant.

Comment expliquer cette amélioration ?

Il n’y a plus de confrontations entre la police et les manifestants. L’opposition radicale a fui à l’étranger. La tension, génératrice d’insécurité et de violences, a baissé mais le problème politique originel reste entier pour le moment.

Le 10 septembre, vous avez envoyé un message appelant au dialogue…

Je suis convaincu qu’il faut tous les protagonistes de la crise autour d’une même table pour chercher ensemble une solution. Des tentatives ont déjà été faites, sans succès, car le gouvernement refuse de parler avec ceux qu’il accuse d’avoir pris part à la tentative de coup d’État du 13 mai 2015. Pourtant, la douloureuse histoire de notre pays a montré que sans dialogue, aucune paix durable n’est possible.

L’Europe a-t-elle un rôle à jouer ?

Oui, mais il lui faut un autre moyen de pression que le gel de l’aide financière pénalisant surtout la population au final. Ceux qui sont au gouvernement, eux, trouvent toujours le moyen de contourner le poids des sanctions.

Envisagez-vous une sortie de crise ces prochains mois ?

Nous l’espérons de tout cœur mais n’avons pas d’éléments concrets sur lesquels nous appuyer pour affirmer que c’est pour bientôt.

Comment se porte l’Église aujourd’hui ?

Même si nous avons entre 80 et 90% de chrétiens, j’aime rappeler que le christianisme n’a jamais été et ne sera jamais une religion des masses. C’est une religion de témoins. Nous cherchons donc à renforcer l’édification de petites communautés vivantes dont les membres, bien conscients des exigences de leur foi, témoignent au quotidien. C’est cette pastorale-là qui sauvera la foi dans notre pays.

Avez-vous des vocations ?

Beaucoup. Les demandes d’admission au Grand Séminaire augmentent d’année en année, ce qui nous demande un réel discernement sur l’authenticité de ces vocations. Il y a lieu de craindre, par exemple, que dans un contexte de crise économique à haut taux de chômage, certains postulent pour échapper à ce dernier.

Quelle est la force de l’Église du Burundi ?

Sa foi et son espérance. Malgré la crise, il se passe de très belles choses, de très beaux témoignages d’amour, de pardon, de réconciliation et même de souci du bien commun. C’est ce qui nous fait tenir encore aujourd’hui et nous encourage à travailler pour un avenir meilleur. Tout n’est pas perdu, loin de là !

En 2017, l’AED soutient notamment les familles burundaises réfugiées en Tanzanie. En 2016, la fondation a débloqué près de 300 000 euros pour le Burundi.

 

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