Le Père Frederico Trinchero est missionnaire en Centrafrique au Carmel de Bangui. A l’approche de Noël, il raconte dans un récit riche en couleur comment le premier missionnaire, le Père Jules Rémy, a évangélisé avec zèle la Centrafrique il y a 125 ans.

L’Évangile est arrivé en Centrafrique il y a 125 ans, grâce au courage du Père Jules Rémy, missionnaire spiritain venu de France. En 1894, avec quelques frères non moins courageux que lui, partant de Brazzaville, il remonta l’Oubangui – un affluent du fleuve Congo qui monte vers le nord et, entre deux chaînes de forêt ininterrompue, atteint les rapides de Bangui, au cœur de l’Afrique. Le père Jules Rémy et ses frères n’ont pas perdu leur temps et, au cri de : « Pour Dieu et pour la France », ils ont évangélisé ces territoires qui étaient à l’époque une colonie française, appelée Oubangui-Chari. (…). Pour atteindre Bangui – qui n’était pas encore la capitale de la Centrafrique mais seulement un petit village – le père Jules partit de Brazzaville et voyagea en bateau à vapeur pendant un mois entier, se heurtant à des difficultés considérables : en un mois, il avait parcouru une distance qui équivaut aujourd’hui à un trajet de quelques heures de vol. Mais Bangui n’était pas leur point d’arrivée. Pour ces infatigables missionnaires français, qui faisaient preuve d’un zèle inégalé, l’ouverture d’une nouvelle mission n’était qu’un point de départ pour aller vers d’autres missions, toujours plus à l’est, toujours plus au nord, jusqu’aux confins les plus reculés de la Centrafrique.

Ce n’était pas une tâche facile d’annoncer l’Évangile dans un pays qui était si différent de la patrie qu’ils avaient quittée. Notre apôtre de la Centrafrique ne se décourageait pas pour autant. Pour faire des chrétiens, il ne se lassait pas de racheter les petits esclaves qu’il trouvait dans les villages, de voyager en pirogue ou à pied, il lui arrivait même de suivre les traces laissées par les éléphants ou de grimper sur des lianes, toujours vêtu de sa soutane noire, un grand chapeau sur la tête, le bréviaire dans la poche et un fusil chargé de munitions sur l’épaule (au cas où il tomberait sur des bêtes sauvages).

Apporter la dignité, même aux plus petits

Un jour, alors qu’il voyageait sur le fleuve, un enfant tomba gravement malade dans le bateau. Toute tentative pour le sauver ayant échoué, l’enfant mourut. Le père Jules fit alors arrêter le convoi, descendit sur le rivage et, sous le regard étonné de ses futurs paroissiens, enterra cette petite créature avec les honneurs d’un roi. Le père Jules ne connaissait pas encore la langue des indigènes, mais ce simple geste avait suffi à faire comprendre à ceux qui deviendraient les premiers chrétiens de la Centrafrique que le grand homme à la longue barbe, toujours vêtu de noir et sans femme, n’était pas venu leur prendre quelque chose, mais leur faire connaître Quelqu’un. Quelqu’un qui aime tout le monde. Quelqu’un qui a donné à tous une égale dignité, même aux plus petits. Quelqu’un qui nous attend dans un splendide Royaume, dont le monjou ti Nzapa (l’homme blanc de Dieu) ne cessait de parler.

Des gorilles et des hippopotames à la première messe!

L’église saint-Paul-des-rapides, première église de Centrafrique, qui existe encore aujourd’hui.

Quelle fête cela a dû être au paradis, le jour où une première messe fut célébrée sur les rives du fleuve Oubangui, le 17 Avril 1894, par le premier curé de la Centrafrique! Le père Jules n’avait pas encore d’église, mais l’immense forêt d’ayous et  d’iroko majestueux, qui s’élevaient dans les hauteurs et entrelaçaient leurs lianes, était pour lui une cathédrale dont les vitraux lui semblaient tout aussi splendides que ceux de sa France natale. Deux beaux singes lui tenaient lieu d’enfants de chœur, et les trompes des éléphants faisaient office de tuyaux d’orgue; comme assemblée, il avait des gorilles qui ne comprenaient pas le latin, des hippopotames qui arrivaient toujours en retard, des gazelles qui étaient toujours les premières à s’échapper et des crocodiles qui montraient les dents chaque fois qu’il demandait une contribution pour la construction de la nouvelle église … Le père Jules finit quand même par construire une véritable église – l’église Saint-Paul-des-Rapides – où il célébra une première messe et qui existe encore aujourd’hui. Arriva alors le temps des premiers baptêmes. Et quelle ne fut pas sa joie quand, de ses propres mains, il réalisa le premier tabernacle et quand, en s’improvisant artiste, il sculpta un cœur sur la porte du tabernacle : comme s’il voulait signifier qu’à partir de ce jour, ce Cœur, à qui il avait consacré toute sa vie, battrait pour toujours au cœur même de l’Afrique (…)

Le père Jules Rémy ne resta que deux ans en Centrafrique, mais il changea le cours de l’histoire de ce pays. Après lui, d’autres missionnaires arrivèrent et poursuivirent, avec un égal dévouement, le travail qu’il avait commencé: le père Émile Leclercq, le père Jean Gourdy, le père Félix Sallaz, le père Raoul Goblet, le père Joseph Moreau et d’autres encore (…).

Le sango, langue d’unité du pays

Quel cadeau enfin, à l’occasion du 125ème anniversaire de l’évangélisation de la Centrafrique – et quel honneur pour les confrères de la petite Thérèse – qu’une nouvelle édition de l’Évangile en langue sango? Réalisée à la demande de l’épiscopat local et après un travail minutieux, cette nouvelle édition voit le jour après des années de guerre. Si, de toutes les manières possibles, on a essayé de diviser le peuple centrafricain, au point de songer à scinder le pays, cette langue est certainement un facteur d’unité et de paix. Du nord au sud, de l’est à l’ouest – phénomène presque unique sur le continent – la même langue résonne dans les rues et dans les champs, dans les villes et les villages, au marché et à la radio, dans les célébrations des grandes cathédrales comme dans les chapelles les plus reculées de la savane. Puisse cette nouvelle traduction de l’Évangile en sango apporter la paix que tout le pays attend depuis tant d’années!

Joyeux anniversaire, petite église dans le grand cœur de l’Afrique! Au bureau d’enregistrement de l’histoire de l’Église, vous n’êtes guère plus qu’un enfant. Et vous ne manquez pas de faire des chutes et des caprices. Mais combien avez-vous déjà à enseigner à cette vieille Europe qui vous a mis au monde et qui semble maintenant vouloir oublier le grand cadeau qu’elle vous a fait il y a cent vingt-cinq ans.

Joyeux Noël!

Père Federico – du Carmel de Bangui

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