Les 10 et 11 juin, Bangui, capitale de la République de Centrafrique, a été le théâtre d’une rencontre interreligieuse à laquelle Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, avait convié des représentants de différentes religions, ainsi qu’un prêtre par diocèse, afin de négocier avec les rebelles de la Séléka. Le père Aurelio Gazzera, prêtre carme originaire d’Italie, missionnaire et directeur de la Caritas du diocèse de Bouar, a évoqué cette rencontre interreligieuse lors d’un entretien avec l’AED.

Vous avez participé à la rencontre interreligieuse à Bangui. Comment évaluez-vous l’importance de cette rencontre ?
La rencontre entre les leaders religieux (catholiques, protestants et musulmans) a une grande importance. Il existe depuis quelques mois une plate-forme qui réunit l’archevêque de Bangui (Mgr Dieudonné Nzapalainga), le président de la communauté islamique et le président de la conférence des Églises Évangéliques. Ils ont commencé avant le coup d’État à se rencontrer, et ils ont même fait des missions à l’intérieur du pays pour visiter les villes qui avaient été prises par les rebelles.

Quelle était la raison de cette rencontre?
Cette réunion naît du souci suivant: le fait que, face à l’émergence des musulmans radicaux, il puisse y avoir une réaction contre tous les musulmans sans distinction. Il y a objectivement des éléments inquiétants de l’émergence de l’islamisme (avec le pillage et les attaques contre les églises et les chrétiens) mais il y a aussi le risque que les gens utilisent la violence contre les musulmans, fatigués d’être pillés et de voir que certains musulmans ont participé au pillage et en ont tiré bénéfice.

Vous êtes l’un des prêtres chargés de négocier avec les rebelles. Vous avez déjà acquis une certaine expérience dans ce domaine…
Personnellement, je discute depuis le commencement avec les rebelles, toujours avec le souci de défendre la population. Et aussi, quelques jours après le coup d’État, j’ai rencontré certains musulmans pour discuter avec eux sur la manière d’éviter les pillages et les violences. Et, grâce à Dieu, et aussi à la bonne volonté des uns et des autres, il n’y a pas eu beaucoup de pillages à Bozoum.

Comment cela se déroule-t-il dans la pratique ?
Souvent ce n’était pas une situation très agréable, parce que les rebelles sont venus, ont pillé, tiré etc. Parfois on a pu les éviter… Mais souvent, un peu partout, il y a eu des contacts moins brutaux. Parfois ce sont les rebelles qui ont des besoins (par exemple de soins, comme le cas des caries soignées dans notre cabinet dentaire de Bozoum), et parfois c’est nous qui allons les chercher, pour résoudre un problème, pour faire libérer quelqu’un, ou pour les convaincre de cesser les tirs, les pillages et les actions violentes, ou bien pour garantir le fonctionnement des services de base, comme les écoles ou les hôpitaux. L’approche varie d’une personne à l’autre, et d’une fois à l’autre… Il doit être clair que nous allons les rencontrer non pour nos besoins, mais pour ceux de la population. Et cela implique, au moins de ma part, le fait d’aller avec courage et fermeté, sans (trop…) de peur, parce que je ne suis pas là pour moi, mais pour mes frères et sœurs…Les réactions des rebelles sont souvent assez bonnes : pour moi, en tant que chrétien, c’est aussi l’opportunité de leur donner l’occasion de réfléchir et de faire quelque chose de bien…

Sur quelle base un tel dialogue peut-il donc réussir ?
Un dialogue, à ce moment, est fait de vérité et de charité, de justice et de miséricorde. Ce n’est pas très facile, parce que quand on commence à mêler la politique, tout devient difficile. Mais il faut toujours essayer. Il faut être très clair et, dans le respect, ne pas cacher les faits et les actes criminels de ces personnes. Normalement ils comprennent facilement quand on va discuter sans avantage personnel, mais dans l’intérêt des autres.
Ils sont toujours armés, mais puisque je vais sans rien, sans escorte et sans armes… je suis le plus fort… Et j’ai aussi un joker… et pas des moins importants : la prière et la présence de Dieu…

Comment voyez-vous l’avenir?
Sincèrement… je ne suis pas très optimiste en ce moment … L’État Centrafricain est entre les mains de gens qui n’ont pas de programme de développement, ni d‘amélioration des conditions de vie de la population. En outre, il y a beaucoup d’incompétence. Sans oublier le fait que le coup d’État a déclenché toute une série de violence et de pillages, qui ne cessent pas, même après presque 3 mois. Il y a trop de rebelles armés, et aucune tentative sérieuse n’a été faite pour les désarmer. Et plus on retarde une intervention, plus ils sont nombreux, et plus il sera difficile de les désarmer. Il faut aussi tenir compte du fait que la plupart des rebelles (au moins des premiers) sont d’origine tchadienne et soudanaise…

Mais il y a aussi de l’espoir?
L’espoir. Ce sont les écoles publiques qu’on a finalement rouvertes à Bozoum. Les élèves, la première semaine, n’étaient que 140. Mais la semaine suivante ils étaient au nombre de 1699. J’ose espérer que le pays aussi peut suivre cette route : si on se met au travail, même si on n’est pas nombreux… les choses, petit à petit, avec l’aide de Dieu, et la bonne volonté des hommes et des femmes, peuvent renaître…

Propos recueillis par Eva-Maria Kolmann

L’AED vient d’accorder 40.000 € à titre d’aide d’urgence à cinq diocèses de Centrafrique: Bangui, Bangassou, Kaga Bandoro, Bambari et Alindao

 

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