Marco Mencaglia est responsable des projets de l’Aide à l’Église en Détresse (AED) en Géorgie. En octobre dernier, il s’est rendu dans ce pays. Une interview menée par Kira von Bock-Iwaniuk.

ACN : Quelle a été votre première impression de la Géorgie ?

Femme priant devant une icône du Christ Pantocrator dans l’église orthodoxe de la Dormition de la Vierge de Metekhi près de Tbilissi. Détruite en 1235 pendant l’invasion mongole, rebâtie en 1289, servant de théâtre pendant la période soviétique, elle fût rendue au culte en 1988.

M. Mencaglia : En raison de la pandémie, le voyage en Géorgie a failli ne pas avoir lieu, car le taux d’incidence dans ce pays était très élevé au début du mois de septembre. Lorsque les chiffres sont finalement tombés, nous avons pu faire le voyage mais, malheureusement, d’importants événements religieux ont dû être reportés en raison de mesures de précaution sanitaires.

La Géorgie est un pays doté d’une identité propre, forte et profondément enracinée, mais elle est en même temps ouverte et hospitalière. Comme carrefour historique de la rencontre des peuples et des cultures entre l’Orient et l’Occident, la Géorgie ne semble avoir rien perdu de sa vocation internationale. La religiosité fait certainement partie de cette culture, et les longues années sous le régime soviétique n’ont pas pu l’éradiquer. Au cours de notre voyage, nous avons entendu beaucoup de témoignages attestant que la foi a pu être préservée au fil du temps dans les régions rurales et en toute clandestinité, même sans présence officielle de l’Église.

Quelle est votre évaluation de la situation politique du pays ? Les conséquences de la guerre avec la Russie sont-elles encore présentes ?

Anciens immeubles de l’ère communiste contrastant avec un bâtiment moderne.

La Géorgie, avec quatre millions d’habitants, a une longue frontière commune avec la Russie. Depuis la guerre en 2008, la Géorgie a officiellement rompu ses relations diplomatiques avec sa puissante voisine, et vit sous le stress résultant de la forte pression économique et politique exercée par la Russie, et sa propre orientation axée sur une plus grande intégration européenne.

Les positions du gouvernement actuel, qui a remporté les élections pour la première fois en 2012, et qui adopte une attitude plus conciliante envers Moscou, sont sévèrement critiquées par l’opposition politique.

Lors de notre visite à Tbilissi, il y a eu des tensions et des manifestations à cause de l’arrestation de l’ex-président Mikheïl Saakachvili, qui sont heureusement restées pacifiques. L’ex-président affichait une orientation pro-occidentale, et lors de son retour dans son pays natal, il a été arrêté et emprisonné pour des crimes commis durant son mandat. Les manifestations, heureusement pacifiques jusqu’à présent, réclament la libération de l’ancien président et de nouvelles élections.

Paroissien venu à l’ordination sacerdotale du frère Beqa, sixième prêtre catholique ordonnée depuis la chute du communisme.

En Géorgie, il y a seulement environ 1% de catholiques. Comment voyez-vous les chances de survie de cette minorité ?

En Géorgie, l’Église catholique vit dans des conditions extrêmement difficiles. De nombreux croyants de l’Église orthodoxe – à laquelle appartient la majorité de la population (environ 85 %) – ne font souvent pas la différence entre identité religieuse et identité nationale. L’idée répandue selon laquelle un bon Géorgien doit être orthodoxe rend difficile pour les catholiques de vivre leur foi. À la différence de nombreuses autres Églises orthodoxes, l’Église géorgienne ne reconnaît ni le baptême ni le mariage catholiques. Ainsi, les couples mixtes sont contraints de choisir une confession et la belle famille d’une personne catholique la soumet à une forte pression de renoncer à sa confession.

Enfin, plusieurs églises catholiques utilisées par les orthodoxes sous le régime soviétique n’ont jamais été restituées, et à ce sujet, il n’existe aucun dialogue.

Ordination sacerdotale du diacre Beqa Chilingarashvili – Église ND du Rosaire, Rabati – Akhaltsikhe – Jeudi 14 octobre 2021,

L’Église catholique réagit à cette attitude hostile en évitant toute confrontation et en tentant de promouvoir autant que possible le dialogue et la compréhension mutuelle. Pour encourager le dialogue, en revanche, il est nécessaire de maintenir une présence vivante et pas seulement symbolique dans les communautés. Pendant notre voyage, nous avons été témoins de l’admirable esprit missionnaire des religieux et des laïcs ‒ Géorgiens et non Géorgiens ‒ qui œuvrent au milieu de tant de difficultés, d’événements peu gratifiants et parfois avec l’impression d’être isolés. En ce sens, l’ordination sacerdotale d’un jeune Géorgien durant la visite d’ACN constituait un signe d’espoir pour le petit troupeau de l’Église catholique géorgienne. Le nouveau prêtre, le Père Beqa, est le sixième prêtre catholique géorgien ordonné depuis la chute du régime soviétique.

Eu égard au taux de chômage pouvant atteindre 60 % dans ce pays, et de la pauvreté que vous avez vue partout, pensez-vous que l’Église catholique puisse apporter une réponse et jouer un rôle décisif ?

Maria, 84 ans, devant la porte de sa chambre avec Sœur Corina, originaire du Pérou et supérieure des Sœurs Camilliennes à Gori.

L’Église catholique en Géorgie est très minoritaire, mais sa présence est néanmoins très significative depuis les premières années qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, notamment au niveau social. Il existe une multitude de projets réalisés par des missionnaires dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’aide aux nécessiteux. Et pourtant, l’Église catholique est partie pratiquement de zéro, dans un environnement difficile, avec peu de moyens et un nombre restreint de personnes. Les fruits de près de trente ans de travail dans ce domaine sont clairement visibles et nous avons pu les constater lors de notre visite : les multiples activités de Caritas, les soins de santé dispensés par les religieux et religieuses de l’Ordre des Clercs réguliers pour les Malades (Camilliens) à Tbilissi et Gori, l’université catholique à Tbilissi, le centre de soutien aux  familles à Koutaïssi et le centre pour les enfants handicapés « Talitha Koumi » à Akhaltsikhé n’en sont ici que quelques exemples parmi d’autres.

Pour conclure, pourriez-vous décrire la rencontre qui vous a le plus fortement impressionné durant votre voyage ?

Je pourrais évoquer plusieurs exemples de l’esprit missionnaire qui anime les petites Églises de Géorgie et d’Arménie, actives et vivantes au sein de tant de difficultés, à commencer par Mgr Giuseppe Pasotto, qui a d’abord été missionnaire et qui est maintenant depuis plus de vingt ans, évêque de l’Église catholique de rite latin du Caucase, dont le siège se situe à Tbilissi. J’aimerais aussi mentionner une petite communauté de religieuses bénédictines contemplatives qui nous ont accordé l’hospitalité dans leur couvent à Rabati, dans le sud de la Géorgie. Originaires d’Italie et venues ici sans aucune connaissance de la culture ni de la langue géorgiennes, elles remplissent depuis des années une mission faite de défis permanents et emplie de petites joies quotidiennes. Plus encore que par leurs paroles, nous avons été impressionnés par leur confiance en Dieu, leur détermination, leur préoccupation des autres dans un environnement qui ne leur est certainement pas familier. Il n’est pas rare qu’au cours de nos voyages, nous rencontrions ces « témoins silencieux » qui assurent en toute discrétion leur précieux ministère et, j’ose l’exprimer ainsi, sont fondamentaux pour la vie de l’Église.

Route d’accès à l’église du Sacré Cœur de Jésus, à Kishabara.
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