« À quoi pensez-vous en entendant le mot « Ukraine » ? Aux vastes plaines de la steppe ? Aux champs de blés interminables ? À Kiev, la « Jérusalem slave » ? À la guerre qui déchire son peuple ? Il se peut que vous pensiez à Zaporijjia, mais les chances sont minces. Zaporijjia, la ville où, grâce à AED Mission, notre équipe de sept jeunes a été reçue pendant trois semaines, dans un diocèse catholique. Cette ville compte un peu moins d’un million d’habitants et se situe à l’est de l’Ukraine, sur les rives du Dniepr. Pour éviter de nous casser la tête sur l’orthographe, ou plutôt par affection, nous avons pris l’habitude de l’appeler « Zapo ».

L’évêque auxiliaire du diocèse de Kharkiv-Zaporijjia, Monseigneur Jan Sobiło, a accueilli notre équipe. Son diocèse s’étend sur tout l’est de l’Ukraine, et compte 20 millions d’habitants. Dans cette partie du pays, seul 1 % de la population se déclare de rite catholique latin. Alors que la majorité des catholiques sont de rite grec. Mgr Sobiło, ainsi que les prêtres et religieux de son diocèse, nous ont chaleureusement accueillis dans la résidence épiscopale, à côté de la cathédrale « Dieu le Père Miséricordieux ». Ne vous imaginez pas un bâtiment majestueux avec de hauts plafonds et de longs couloirs ! La résidence servait non seulement de modeste demeure au clergé mais aussi de maison d’hôtes, d’accueil et de cantine pour les pauvres, ainsi que de lieu de rencontre pour les jeunes de la paroisse.

Pour donner une brève impression de notre aventure ukrainienne, permettez-moi de vous présenter quelques-unes de ces impressionnantes personnes missionnaires. Chacune d’elles nous a permis de découvrir véritablement l’œuvre du Christ, agissant par son Église pour les pauvres. Une pauvreté qui, en Ukraine, est davantage morale que matérielle, comme nous l’ont fait remarquer les catholiques. « Quelques décennies peuvent suffire pour relever un peuple de la misère économique, mais ne suffisent pas pour réparer les âmes profondément corrompues par septante ans de communisme. »

Mgr Sobiło, le missionnaire en chef

Mgr Sobiło a quitté sa Pologne natale, comme jeune prêtre, pour se rendre dans le désert spirituel de l’Ukraine orientale. Pendant notre mission, nous avons pu voir combien ses journées sont remplies de prière et de travail manuel (pas en soutane épiscopale, mais en t-shirt « JPII : N’ayez pas peur »). Sa ferveur permet au Christ de se manifester aux Zaporogues. Malgré le climat souvent hostile, il a réussi par des projets concrets à construire une communauté catholique qui vit pleinement sa foi en communauté avec l’Église universelle. Le phare de cette communauté est la cathédrale-sanctuaire « Dieu le Père Miséricordieux », construite il y a 15 ans par les paroissiens. Elle se dresse majestueusement au centre de Zaporijjia, une ville-modèle du communisme conçue par Lénine et construite par Staline. Réconciliant des clochers à bulbes avec une grande coupole romaine, l’architecture de la cathédrale reflète la volonté de Mgr Sobiło de faire la paix en unissant les églises orientales et occidentales.

La partie du diocèse de Kharkiv-Zaporijjia couvre d’ailleurs la zone de guerre du Donbass et les provinces déchirées. Il est le seul évêque en Europe à devoir faire face à une guerre au sein de son diocèse. Cela n’a pas échappé au pape François, qui a ordonné de ne pas fermer la Porte de la Miséricorde du sanctuaire, à l’issue de l’Année Sainte. Le pape a jugé, comme nous l’a raconté Monseigneur, que la soif de miséricorde de l’Ukraine n’était pas encore étanchée après une Année Sainte.

Les frères Albertins, les missionnaires des pauvres

Sous les auspices de ce diocèse, sont placés trois frères polonais de l’ordre des Albertins. [Cette congrégation est rattachée aux Frères mineurs conventuels et suit la règle de saint François.] Ils gèrent une cantine pour les pauvres à côté de la cathédrale, ainsi qu’un refuge pour sans-abri dans leur monastère. À cause du chaos post-communiste, de la corruption et des révolutions, l’État dysfonctionnel n’est pas en mesure de fournir assistance aux plus démunis de la région. L’effondrement de l’industrie lourde a poussé beaucoup d’hommes au chômage. Et la guerre a laissé de nombreux enfants avec un père handicapé ou, dans le pire cas, absent. Par conséquent, de nombreuses familles dépendent de personnes bienveillantes pour survivre, en particulier pendant l’hiver qui est rude.

Les filles de notre équipe ont aidé, à la cantine des frères, à préparer et servir le déjeuner aux pauvres de la ville. La plupart d’entre eux ne sont ni catholiques ni chrétiens. Compte tenu que l’homme ne vit pas seulement de pain, les frères leur apportent aussi une nourriture spirituelle, par exemple une prière d’action de grâce avant le repas.

Nous avons également pu visiter le monastère des frères dans un faubourg de la ville. Là, vivent une trentaine d’hommes sans-abri. Souvent malades ou quinquagénaires, ils incapables de trouver un emploi par eux-mêmes. Les frères leur apprennent un métier afin qu’ils puissent se réinsérer dans la société. Reconnaissant envers Dieu de voir les fruits de leurs travaux, un frère nous ont raconté qu’un homme, à qui ils avaient appris le métier de boulanger, avait pu retrouver un emploi et fonder une famille.

Le père Jerzy, le missionnaire de tous les jours

Le prêtre que nous avons sans doute le plus côtoyé est le père Jerzy, missionnaire polonais de l’Ordre de Notre-Dame de la Salette. Sa spécialité : construire l’Église là où elle n’est pas encore, au propre comme au figuré. Après avoir passé 10 ans au Kazakhstan et 10 ans en Bavière, il a été envoyé à Zaporijjia. Sa mission : construire une paroisse sur la rive ouest du Dniepr. Pour commencer il a transformé son appartement en chapelle, dissimulée dans un HLM soviétique. Une fois cette chapelle remplie de nouveaux baptisés, il s’est lancé dans un nouveau projet. Il a entrepris la construction d’une véritable église sur les ruines d’une ancienne boulangerie communiste. Entre les sacrements, ce prêtre se rend au marché pour réparer sa foreuse. Il sculpte des statues de saints ou encore installe des tableaux électriques.

C’est sur le chantier de cette nouvelle église que notre équipe a passé de nombreux jours de la semaine, tout comme les paroissiens du père Jerzy. La masse et la pioche en main, nous avons démoli les fourneaux souterrains. L’enlèvement de tonnes de déchets a créé un espace qui pourra servir à la vie paroissiale. Le père Jerzy se réjouissait du fait que « des Français étaient venus démolir les ruines communistes sur laquelle il construirait son église. » Ce travail manuel nous a permis de laisser une petite trace physique de notre séjour à Zaporijjia. Depuis notre mission, les travaux ont été achevés et l’église a été consacrée « Saint Padre Pio ». Une fois sa paroisse redynamisée et ses paroissiens vivant des sacrements, le père Jerzy s’en ira sans doute vers de nouvelles missions…

Le père Pablo et Valentina, les missionnaires exceptionnels

Le père Pablo est un prêtre espagnol en mission à Zaporijjia. Appelé par Dieu, il a quitté une paroisse débordante de vie et de jeunes à Madrid. Pourquoi ? Pour devenir missionnaire dans une région qu’il qualifie de « désert spirituel ». Dans un pays où il ne supporte pas le climat et dont il ne parle pas la langue. Un madrilène à Zaporijjia, cela correspond à un oranger planté au milieu de la steppe.

Avec Valentina, une femme consacrée originaire de la région, le père Pablo dirige la mission « Chalice of Mercy ». Cette organisation a pour objectif d’apporter l’Espérance et l’Amour à des âmes déchirées par le communisme et la guerre séparatiste. Envers et contre tout, ils essayent d’infuser cette Espérance et cet Amour dans la vie des Zaporogues. Par exemple, ils visitent les écoles de médecine pour discuter avec les étudiants sur la valeur de la vie prénatale.

La « Maison Ste Maria Goretti »

Pendant notre séjour, nous avons visité le chantier d’aménagement de la « Maison Ste Maria Goretti ». Portée par Chalice of Mercy, cette maison d’accueil est destinée aux mères célibataires ou veuves et à leurs enfants. Elle veut offrir un refuge aux femmes ayant perdu leur mari, dans la guerre ou à cause de l’alcool et de la drogue. Bien souvent, elles ne voient pas d’autre alternative que l’avortement.

Valentina nous a raconté que, par miracle, des donateurs anonymes avaient versé exactement le montant nécessaire à l’acquisition du terrain, à côté de la maison. Cela permettra d’augmenter le nombre de mères et d’enfants accueillis. Pour le père Pablo et Valentina, il est important d’offrir un refuge qui ne réponde pas seulement à des besoins matériels. Il faut que ce soit aussi un endroit agréable pour élever leurs enfants. C’est sans doute pour cela que la Maison Ste Maria Goretti, même en chantier, est une des rares constructions à Zaporijjia que nous oserions qualifier de « jolie ».

Le père Andreï, le missionnaire de son terroir

Un des rares membres du clergé d’origine ukrainienne : le père Andreï. Il s’est converti au catholicisme, alors qu’il était ouvrier dans l’une des fameuses usines automobiles de Zaporijjia. Il vit dans le modeste refuge qu’il tient dans un village ouvrier en bordure de la ville. Ce refuge accueille des hommes alcooliques et drogués. En l’absence de services sociaux, ceux-ci seraient abandonnés à leur sort dans la rue. Le père Andreï ramasse ces hommes dans la rue. Il subit souvent leur violence et leurs tromperies. Mais il se bat pour leur apprendre un métier, afin qu’ils puissent vivre de façon indépendante. Comme nous le disait un paroissien, « il remplace la dépendance de la drogue par la dépendance de Dieu. »

Le père Andreï est un homme rigoureux mais magnanime. Il est prêt à tout subir pour servir son prochain démuni. Il a pris beaucoup de plaisir à assimiler des mots et phrases françaises. Et inversement, à nous apprendre quelques mots de russe.

Le pèlerinage Melitopol-Zaporijjia

Nous nous rappellerons aussi le père Andreï comme organisateur. En effet, il était responsable d’un pèlerinage des jeunes, auquel nous avons participé pendant notre dernière semaine. De Melitopol à Zaporijjia, l’itinéraire traversait la campagne ukrainienne, sur des routes criblées de trous et d’ornières, au milieu des champs de blé et de tournesol. Le soir, nous montions les tentes dans un herbage. Autour d’un feu de camp, nous mangions une soupe préparée dans une marmite géante. Sur la route, le père Andreï déclamait inlassablement par le haut-parleur le catéchisme, l’évangile, la doctrine de l’Église, le rosaire… Et il incitait les jeunes à répondre, à réciter, à chanter… En cinq jours de pèlerinage, nous avons prié environ mille « Je vous salue Marie », en ukrainien, russe, français, anglais, latin, polonais ou encore en allemand.

Au long du chemin, il liait conversation avec les rares habitants vivant encore à la campagne, en général fort dépeuplée. Il leur expliquait qu’on priait pour eux, pour la paix, et qu’eux aussi étaient appelés à suivre le Christ. Épuisés par de longues journées de marche dans une chaleur infernale, des litanies interminables ou le port de la Croix en tête du cortège, nous avons quitté le pèlerinage avant son terme car le retour en France nous attendait déjà.

Pour conclure…

Nous avons encore pu rencontrer bien d’autres personnes pendant notre mission. Sans doute la plus présente dans notre quotidien, la « Sistra » ! C’est elle qui tient le ménage de la résidence épiscopale. Elle serait trop modeste pour apprécier que l’on mentionne son service dans ce témoignage. Nous avons également fait la connaissance des jeunes paroissiens. Omniprésents autour de la cathédrale, ils partaient souvent étudier en Pologne pour s’assurer d’une formation de qualité.

AED Mission a permis à notre équipe de vivre profondément l’universalité de l’Église. Nous avons également expérimenté l’amour de Dieu pour ses enfants les plus défavorisés. Malgré les circonstances étonnement différentes dans lesquelles nous avons grandis, nous avions en commun notre foi.

De notre mission, nous retenons la pauvreté absolue, plus spirituelle que matérielle, d’un peuple européen tourmenté par la guerre. Mais, avant tout, nous n’oublierons pas l’espoir que des hommes et des femmes apportent à ce peuple, par le Christ, pour le relever de sa pauvreté par des travaux de sainteté au quotidien.

Un fioretti de notre mission

Le jour précédent notre retour en France, nous avons visité le monastère des frères Albertins. Alors que nous quittions le monastère, un frère nous a demandé de chanter le « Je vous salue Marie » en français, devant la statue de la Vierge. Les frères sont des Polonais costauds, témoins de la pauvreté inhumaine de cette ville depuis des décennies. Ils ont eu les larmes aux yeux en écoutant notre chant, pourtant loin d’être fort raffiné.

C’est à ce moment-là que nous avons compris l’envergure de notre mission et la raison pour laquelle l’évêque nous avait invités. Ces braves frères ont donné leur vie au Christ et pour les pauvres de Zaporijjia. Et ils voyaient sept jeunes venus de France, chanter l’Ave Maria devant leur monastère, travail de leur vie et îlot du Christ au milieu du rêve athée de Staline. Par notre présence, notre prière et notre modeste contribution à leur travail, nous avons confirmé en eux le sentiment de communauté universelle qui caractérise l’Église et qui leur donne la force de continuer leur œuvre extraordinaire. C’était un privilège offert par le Christ que l’AED nous a permis de vivre et qui nous a formés pour la vie.

Permettez-moi de vous demander, comme les catholiques de Zaporijjia nous l’ont demandé, de prier pour l’Église en Ukraine.

Gillis,
Pour la « team Ukraine », composée de Camille, Charles-Antoine, Clémence, Gillis, Pierre, Miruna et de Thibaut

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