Il y a 40 ans, le 11 février 1979, l’ayatollah Khomeiny arrivait au pouvoir. Le prêtre franco-iranien Pierre Humblot fut un témoin de la révolution iranienne.  Il témoigne auprès de l’AED.

Arrivé en 1969 en Iran, le père Humblot est resté jusqu’en 2012, date à laquelle il a été poussé dehors par la police religieuse. Ce prêtre, qui continue depuis Paris son activité au service des chrétiens de langue perse, voudrait que l’on sorte des schémas simplificateurs au sujet de la révolution iranienne. Dans l’imaginaire collectif, ce pays en voie d’occidentalisation avant 1979 a brutalement basculé dans l’obscurantisme islamique avec la révolution, comme pris de folie collective.

Mais cette « folie collective » s’explique. Dans les années 1970, les Iraniens voyaient leur pays changer à toute vitesse. Le Shah d’Iran, que la télévision nationale montrait jouant les stars devant les caméras, était très éloigné de l’image de l’héritier de l’Empire perse millénaire que les Iraniens auraient souhaité. Il apparaissait comme un souverain soumis aux intérêts américains.

En 1969, le père Humblot, arrivait dans un pays où les chrétiens étaient déjà minoritaires et qui savaient leur situation précaire. Les Arméniens constituaient un groupe important, beaucoup avaient fui le génocide de 1915. De nos jours ils sont encore plus de 200 000, essentiellement à Téhéran. Le prêtre était envoyé auprès de la minorité chaldéenne. C’était, déjà à l’époque, une petite communauté, qui ne compte aujourd’hui pas plus de 5000 fidèles, mais ancienne : elle aurait été évangélisée par Saint Thomas l’Apôtre. Ballotés par l’histoire, réprimés tour à tour par l’Empire perse païen, par les musulmans arabes, puis par les Mongols convertis à l’islam, leur nombre et leur rayonnement a considérablement diminué. « Ils ont, inscrits dans leurs gènes, le sentiment de la précarité de leur situation. Ils vivent entre eux, parle l’araméen, et sont excessivement méfiants à l’égard des chrétiens convertis de l’islam », constate le père Humblot. Or, ce sont justement auprès de ces derniers que le prêtre est envoyé.

Une révolution animée de l’extérieur du pays

En 1979, les Ayatollahs ont finalement emporté la partie, à la fois contre le régime et contre les communistes, mais ils héritaient d’un pays en très grande difficulté et réagissaient en imposant leurs lois religieuses avec la plus extrême sévérité. « À partir de 1979, j’ai vu arriver des musulmans qui souhaitaient se convertir au christianisme », témoigne le père Humblot. Confrontés à une police politique dure, beaucoup d’Iraniens ne supportaient qu’on leur impose leur religion, et interrogeaient l’islam.

Les minorités chrétiennes, arménienne et chaldéenne, étaient effrayés par ces bouleversements de leur société qui menaçaient leur présence dans leur pays. Les plus riches, les jeunes diplômés, ont quitté le pays. Beaucoup de ceux qui restaient furent menacés directement, comme l’évêque anglican de Téhéran, dont le fils a été assassiné, et qui reçut la « visite » d’agents de la police politique Mais les premiers visés étaient ces convertis de l’islam qui se multipliaient. Souvent, le régime les condamnait à mort, puis les relâchait avant de les faire liquider discrètement.

Ce régime, controversé, n’aurait probablement pas tenu sans la guerre Irak-Iran qui éclata en 1980. De 1980 à 1988, les deux nations s’affrontèrent dans une guerre de tranchées, où les deux armées étaient dotées d’armes modernes. Le nouveau contexte de « Patrie menacée par une nation extérieure », désignait automatiquement comme traitre tout opposant au pouvoir des Ayatollahs.

La révolution en 2019

Ce sentiment de vivre dans une nation assiégée, savamment entretenu par les Ayatollahs, a permis au régime de tenir jusqu’à nos jours. La pression internationale, l’hostilité des voisins sunnites ont maintenu la pression. Les Ayatollahs se présentent comme la seule alternative au chaos.

Mais ils sont remis en cause, car la situation intérieure du pays est mauvaise. La population est soumise à une inflation galopante, et elle comprend mal l’interventionnisme iranien en Irak, en Syrie et au Yémen, dans ce contexte difficile. Le pays, dont tout le centre est désertique, rencontre aussi de graves problèmes de gestion de l’eau. À Téhéran, l’eau est rationnée, alors que dans le même temps, l’Iran vend de l’eau aux pays du Golfe.

La remise en cause de cette gestion politique s’accompagne d’une remise en cause plus profonde des fondements de la société iranienne, et en premier lieu de la religion. Beaucoup d’Iraniens s’avouent en privé « agnostiques », constate le père Humblot. La jeunesse, en particulier, se détourne de la religion traditionnelle chiite. Beaucoup renoncent à toute forme de transcendance, sombrent dans l’opium, qui représente un fléau national. Nombreuses sont les conversions à l’hindouisme, au zoroastrisme, au christianisme.

Les chiffres sur le nombre de conversions sont très difficiles à obtenir, mais les estimations les plus raisonnables à ce sujet évoquent 300 000 musulmans iraniens qui ont demandé le baptême, ce qui fait de l’Iran le premier pays musulman au monde en termes de conversions au christianisme. Le père Humblot, qui a assisté à l’émergence de ce phénomène étonnant au pays des Ayatollahs commente : « Il y a des raisons politiques à ce mouvement de conversions, le rejet du régime chiite. Il y a aussi des raisons culturelles, car l’islam chiite en Iran a été profondément influencé par le christianisme. Il existe par exemple des poètes chiites qui parlent d’un Dieu d’amour, ce qui est inimaginable en pays sunnite. Plus profondément, je crois que nous vivons des temps décisifs, la situation du monde est très fragile, et Dieu agite les consciences, il parle auxmusulmans. »

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