Retrouvez le témoignage du père Théogène

RWANDA : aide à la réinsertion des prisonniers du génocide

Pendant son voyage au Rwanda, Agnès Sebaux, du service communication d’AED international (ACN), s’est entretenue avec le père Théogène NGOBOKA, directeur de la commission diocésaine Justice et Paix de Cyangugu. Parmi les activités de la Commission, le père Théogène assure une pastorale dans la prison pour hommes de Rusizi..

Combien y a-t-il actuellement de prisonniers ?

Il y en avait le mois dernier 3 850 : 1 300 détenus pour cause de génocide, le reste étant des prisonniers de droit commun.

Les événements dramatiques du génocide remontent à 1994. Vingt-huit ans plus tard, il y a encore beaucoup de détenus. Qui sont-ils ?

Il faut rappeler que, lors des juridictions populaires qui ont été mises en place dans tous les districts – les juridictions « Gacaca » – ceux qui ont reconnu leur rôle dans le génocide ont vu leur peine allégée. En revanche, pour ceux qui n’ont pas voulu avouer et reconnaître les faits incriminés, le tribunal a été très dur allant jusqu’à imposer une peine de vingt-cinq  à trente ans.

Les personnes qui restent incarcérées aujourd’hui sont donc ces personnes ou bien encore, des personnes qui ont perpétré des crimes dans plusieurs secteurs. Ils ont pu être jugés plusieurs fois et leurs peines sont cumulables. Certains ont pris pour 30 à 40 ans. Il y a également ceux que l’on appelle les prédicateurs du génocide, ceux qui exerçaient l’autorité et qui ont donné les ordres.

Vous êtes aumônier de cette prison. En quoi consiste votre mission ?

J’ai un droit de visite permanent. Je peux y aller à tout moment à condition d’avoir prévenu la prison avant. Je vais vous parler plus précisément de l’accompagnement des prisonniers pour cause du génocide. Avec des volontaires travaillant dans la Commission Justice et Paix , j’aide les détenus qui vont bientôt être libérés à préparer leur sortie. En effet, vous pouvez avoir purgé votre peine vis-à-vis de la loi, mais la société continue de vous juger. J’explique aux détenus qu’il est important et nécessaire de se réconcilier avec la communauté.

En quoi consiste cette aide ?

C’est tout un processus d’accompagnement des prisonniers mais aussi de la communauté dans laquelle ils vont revenir s’installer pour cheminer ensemble vers la réconciliation.

Nous préparons d’abord les prisonniers en les sensibilisant sur la nécessité de demander pardon. « La communauté a toujours quelque chose contre vous. Etes-vous prêts à reconnaitre vos actes, à demander pardon à la communauté ? Nous nous engageons à servir d’intermédiaire entre vous et les rescapés. » S’ils sont prêts pour cette démarche, ils écrivent une lettre à toutes les personnes à qui ils veulent demander pardon. Ils s’engagent à changer de comportement et expriment leur souhait de vivre en harmonie avec la communauté. La direction de la prison signe ces lettres pour les authentifier.

Ces lettres sont alors transmises aux familles rescapées par les prêtres ou les bénévoles de la commission Justice et Paix des paroisses concernées. Ceux-ci se chargent d’expliquer la démarche du prisonnier. Un dialogue s’instaure pour vérifier la validité des propos. Ainsi, il y a des lettres qui arrivent avec toutes les informations, d’autres sont partielles.  Les victimes mentionnent d’autres faits. La commission se charge de noter toutes ces informations manquantes et de les retourner au prisonnier. Nous servons d’intermédiaire pour faire la vérité.

Si le rescapé affirme que la lettre est vraiment complète, on lui propose alors de se rendre à la prison pour échanger avec le prisonnier. Ainsi, une journée par mois, nous organisons ces visites avec le service social de la prison. Nous organisons des bus pour transporter les rescapés à qui on a demandé pardon. Nous sommes toujours médiateurs et assistons à ces rencontres. Nous facilitons ces échanges. Les émotions sont fortes.

Ensuite, si le pardon est donné et accepté, il faut l’élargir aux membres de la famille. Le pardon doit être familial, tant pour les membres de la famille du rescapé que pour ceux de la famille du prisonnier.

Nous travaillons également au sein de la communauté. Nous organisons des cessions avec les survivants d’une part, les familles des prisonniers d’autre part. Puis nous les réunissons. La plupart de ces personnes sont croyantes et la foi joue un rôle primordial dans le processus de pardon. Toutes nos rencontres se font autour de la Parole de Dieu où nous trouvons des modèles de pardon. Nous prions et échangeons sur ces textes qui cadrent avec le processus de réconciliation. Nous invitons aussi des personnes qui sont déjà passées par ce processus à témoigner. Cela encourage les autres. Ainsi, quand les prisonniers sont libérés, ils arrivent dans une communauté qui a été préparée.

C’est un long processus…

Oui, c’est pour cela que nous démarrons trois ans avant la libération. Et une fois libéré, ce n’est pas fini. Nous nous engageons dans un cheminement d’au moins six mois permettant aux prisonniers et aux victimes de vaincre leur peur. Nous organisons des rencontres autour de la Parole de Dieu, des travaux communautaires permettant de travailler ensemble dans un champ, sur un chantier de maison… Nous leur demandons de se rendre visite. La réconciliation n’est pas automatique. La confiance est à construire. C’est un long cheminement.

Nous organisons aussi des pèlerinages à Kibeho où nous convions des petits groupes des différentes paroisses. Chacun raconte son cheminement. On échange. Chacun se conforte dans son cheminement de pardon.

Au terme des six  mois, la commission Justice et Paix essaie d’évaluer l’état de la réconciliation. Les bénévoles qui les accompagnent donnent leur avis sur le processus, les activités communes réalisées. Si ce processus s’est bien effectué, alors, l’église organise une journée officielle d’unité et réconciliation. Les prisonniers sont accueillis dans la paroisse et demandent officiellement pardon. Ils avouent publiquement ce qu’ils ont fait, demandent pardon. Les victimes donnent aussi publiquement leur pardon.

Est-ce que vous proposez ce chemin de réconciliation uniquement aux catholiques ?

La majorité est catholique. Mais, nous le proposons également à ceux des autres confessions qui ont commis le génocide contre un catholique et qui veulent le pardon. Nous ne les obligeons pas à changer de confession. Lors de la journée officielle d’unité et réconciliation, nous invitons le responsable de son église à participer et à attester de cette réconciliation.

Est-ce que certaines personnes refusent ce processus de réconciliation ?

Oui, certaines refusent le processus. Elles disent qu’elles ont exécuté des ordres, qu’elles ont purgé leur peine et qu’elles n’ont plus de compte à rendre à personne. Lors des juridictions « Gacaca », il y a eu des demandes de pardon non sincères pour bénéficier de la grâce de l’Etat. En général, une fois libérées, ces personnes changent de lieu d’habitation.

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Ce processus demande d’énormes efforts. Les blessures sont encore sensibles, même vingt-huit ans après. Certains ne veulent pas réveiller ces blessures alors qu’elles commençaient à cicatriser… Pour que cette réconciliation ait des chances de réussir, la victime doit être convaincue de la sincérité de la demande de pardon et que l’ensemble des faits commis soit révélé. Beaucoup de victimes ne peuvent toujours pas faire le deuil de leurs proches car elles ne savent pas où sont leurs corps. Elles attendent de leur bourreau de connaître le lieu de leurs crimes.

Pour l’ex-prisonnier, c’est aussi très difficile. Certains témoignent : « L’extérieur est pire que la prison : ma femme a refait sa vie avec un autre homme, j’ai peur de croiser les membres de la famille que j’ai tuée, comment aller dans l’église où j’ai commis des meurtres ?… »

Une autre difficulté réside dans le fait que le reste de la famille ne veut pas octroyer le pardon. Il faut respecter le rythme de chacun et l’accompagner sur ce chemin.

Certains prisonniers ne reconnaissent pas les crimes qui leur sont imputés. Est-ce qu’il y avait une présomption d’innocence ?

Lors des tribunaux Gacaca, la priorité était donnée aux accusateurs. Quand il n’y avait pas de preuves, même si vous plaidiez non-coupable, on vous incriminait. Nous savons que certains prisonniers ont été injustement accusés et incarcérés. Par exemple, des prisonniers reconnaissent avoir pillé, mais non tué. Quelques rescapés, sous le coup de l’émotion ou du désir de vengeance, ont ainsi fait de fausses accusations. Mais quand la sentence a été prononcée, il est difficile de revenir en arrière.

Est-ce que vous avez accompagné certains de ces prisonniers pour préparer leur sortie ?

Oui, c’est arrivé. Je vous expliquais que la réconciliation était fondée sur la vérité, la demande et l’accueil du pardon. Chaque cas est individuel. Il nous faut écouter, discerner et essayer de découvrir la vérité, ce qui s’est réellement passé.

Pensez-vous que ce processus de réconciliation serait possible sans l’aide de Dieu ?

Non… le pardon est un miracle, un don de Dieu… quand vous entendez toutes les atrocités commises… le pardon est une force donnée par Dieu.

Au cours de l’année 2021, 154 prisonniers ont été accompagnés et  mis en contact  avec 98 familles rescapées du génocide.

« La paix est non seulement un besoin, un don mais aussi un chantier. Nous accueillons la paix qui vient de Dieu, mais nous en sommes également protagonistes. Nous devons travailler à l’avènement du Règne de paix. Notre région des Grands Lacs a besoin, aujourd’hui plus que jamais, de vivre en paix… A notre niveau, nous sommes appelés à œuvrer pour la paix et la concorde. La commission Justice et Paix à travers toutes ses structures, comme du reste, tous les organes de l’Église, sont appelés à être proactifs dans la recherche de la paix et de la concorde. »

Cardinal Antoine Kambanda, archevêque de Kigali, président de la Commission épiscopale Justice et Paix :

Témoignages d’ex-prisonniers s’étant réconciliés avec leurs victimes

Témoignages de Aphrodis Kanani et Thacienne Mukandinda

 « J’habite dans la paroisse Ntendezi. J’ai été libéré vers la fin 2019. Quand je suis arrivé à la maison, je ne pouvais pas sortir, je ne pouvais pas aller à la messe, au marché et même au cabaret. Je me sentais coupable, rejeté. Même si je venais de passer vingt-deux  ans en prison et que ma peine était terminée, je n’étais pas tranquille. Le président de la Commission Justice et Paix est venu me visiter. Il m’a parlé du cheminement entrepris par l’Église catholique de réconcilier les gens. A ce moment-là, je n’ai pas compris sa mission. J’ai pensé qu’il était envoyé par l’Etat. Il est revenu une deuxième fois et m’a invité à la paroisse avec ma femme. Nous y sommes allés. L’abbé Ernest a introduit la rencontre avec la Parole de Dieu et après, il a écouté chacun individuellement. Avec lui je me suis rendu compte que je pouvais être libéré, faire le premier pas vers la victime et lui demander pardon. L’abbé et le président de la Commission m’ont visité et m’ont accompagné chez Me Thacienne Mukandinda dont j’ai tué le mari. La Commission Justice et Paix avait préparé chacun individuellement. Le jour de la rencontre a été facile car nos cœurs étaient déjà libérés. Maintenant nous sommes membres de l’association d’unité et réconciliation de la paroisse Ntendezi où nous continuons à donner l’exemple que la paix et  la réconciliation sont  possibles. »

Aphrodis Kanani et Thacienne Mukandinda

Herman Habiyaremye de Mibirizi fut responsable de la cellule pendant le génocide perpétré contre les Tutsis. Pendant le génocide, il a tué beaucoup de gens à tel point que la justice lui avait imposé la peine de mort. Lors de la juridiction Gacaca, il avait accepté sa grande responsabilité dans le génocide et la peine de mort a été annulée. Il a été emprisonné vingt-cinq ans.

« Quand je suis sorti, je n’avais plus le sens de la vie. J’étais dérangé. Je ne pouvais pas aller à la messe ni au marché. Je voulais tout simplement rester enfermé dans mon foyer. Si on m’avait donné le choix, j’aurais alors préféré retourner en prison au lieu de vivre comme ça. Après environ huit mois, l’abbé Clément, le curé de la paroisse, a fait savoir qu’il voulait rencontrer les prisonniers libérés et les membres de leurs familles. Ma femme m’a annoncé cela, mais je ne pouvais pas y aller. Ma femme s’est présentée seule au rendez-vous, pour savoir de quoi il s’agissait. Dans cette réunion, les prisonniers ont exprimé leurs soucis, certains disant qu’ils n’osaient pas sortir de leur maison. Ils ont dressé la liste de ceux qui avaient ce problème. L’abbé Clément lui-même est arrivé chez moi. J’ai commencé avec lui ce processus qui n’était pas facile, mais il a continué à être à mon côté jusqu’à ce que je puisse rencontrer Gaston Niyibizi, le chef de la grande famille que j’ai exterminée. Je lui ai demandé pardon et il m’a pardonné. »

De son côté, Gaston Niyibizi de Mibirizi relate l’histoire du calvaire qu’il a vécu pendant le génocide perpétré contre les Tutsis. Il a dit que Herman Habiyaremye l’a torturé à mort, mais Dieu aidant, il a pu survivre. Ses tortures lui ont laissé beaucoup de cicatrices qui l’ont amené à avoir des pensées de vengeance. Il est resté longtemps dans la haine mélangée au traumatisme. C’est grâce à l’accompagnement des animateurs psychosociaux de la CPJP Mibirizi qu’il a pu entreprendre le processus de l’unité et réconciliation. Il a dit que son cœur a été bien libéré et il a sincèrement accordé le pardon à Herman. Actuellement ils vivent bien. Il n’y a plus de préjugés et de suspicion entre eux.

Témoignage de Daphrose Mukaremera et Adrie Nyirambabazi :

Daphrose Mukaremera est de Ntendezi. Pendant le génocide perpétré contre les Tutsis, son filleul (l’enfant de Adrie Nyirambabazi) est venu chez elle pour lui demander le refuge mais elle lui a refusé. Son mari l’a conduit chez les tueurs qui l’ont tué sur place. Après le génocide, elle et son mari ont été emprisonnés quinze ans suite à la mort de cet enfant. Ils ont aussi fait des travaux d’intérêt général.De retour à la maison, son mari est décédé.

« Après la mort de mon mari, j’ai vécu un vrai conflit intérieur. Je n’étais même pas capable de regarder ma voisine dans les yeux.  Je n’étais pas tranquille, Je me sentais coupable. Je ne pouvais pas aller à la messe et communier, alors qu’auparavant, j’étais très engagée dans l’Eglise.  J’étais fatiguée de tout. Je me suis décidée à aller demander conseil au Curé de la paroisse, l’abbé Ernest Simbananiye. Je lui ai raconté toute l’histoire. Il a accepté de m’accompagner et de m’aider à me réconcilier avec ma voisine. »

Chose faite et bien réussie.

Le groupe de la paroisse a effectué de nombreuses visites chez elle et chez Adrie. Finalement ces visites ont abouti aux bons résultats. Le groupe a réussi à les réunir, à les faire parler de ce qui s’était passé, à dire la vérité et à demander pardon.  Les deux familles ont exprimé leur joie. Les barrières qu’elles avaient construites ont été brisées. Actuellement, elles vivent en harmonie et s’entendent bien.

Témoignages de Valens HANYURWA et Consolée MUKARUSINE

« Je réponds au nom de Valens Hanyurwa. J’ai été en prison pendant quatorze ans suite aux crimes que j’ai commis pendant le génocide perpétré contre les Tutsis. Je fus libéré en 2009 après les juridictions Gacaca car j’avais demandé pardon au gouvernement Rwandais et à toute la population. Quand je suis sorti de la prison, j’étais très mal à l’aise car je ne voulais pas rencontrer les rescapés du génocide, alors qu’ils étaient mes voisins. Je ne pouvais pas emprunter la route. Je passais dans les forêts pour aller quelque part. J’ai même quitté mon quartier pour aller me cacher dans la ville de Kamembe. En y arrivant, la vie était très dure et je ne pouvais pas sortir pour chercher du travail de peur de croiser des gens qui me connaissaient. Je me demandais quand et comment j’allais sortir de cette situation. Finalement je me suis décidé à retourner à la maison. Un jour, Mme Consolé Mukarusine m’a surpris sur la route et m’a salué. Je tremblais tellement que j’ai failli tomber par terre. Après cette scène, je me suis dit que c’était la fin du monde. Je ne savais pas que Consolée était en processus de réconciliation à la paroisse de Hanika ».

Dans ses témoignages, Consolée Mukarusine dit qu’après avoir vu les comportements de Valens, après les enseignements et le cheminement entrepris dans le processus de guérison des blessures, elle a demandé au curé de la paroisse, l’abbé Justin Niyigena de l’accompagner chez Valens pour lui accorder le pardon. Lors de cette visite, Valens a reconnu tout ce qu’il avait fait dans le génocide, comment il avait tué le frère de Consolée et trois enfants de Primitive Mukahigiro. Il a alors demandé pardon. Valens a accepté de commencer le cheminement avec Consolée et Primitive à la paroisse.

La famille de Valens s’est également rendue dans la famille élargie de Consolée et Primitive pour demander pardon. Pour le moment, ces familles cohabitent ensemble, elles mènent des actions visibles de consolidation de la paix.

RWANDA : « Le pardon est une force donnée par Dieu »

Comment l’Église aide à la réinsertion des prisonniers du génocide perpétré contre les Tutsis ?

Le 7 avril a été déclaré Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda. Vingt-neuf ans après ces évènements tragiques (7 avril 1994 – 15 juillet 1994), ces prisonniers qui restent incarcérés sont ceux qui ont été condamnés à la plus lourde peine.  Le père Théogène NGOBOKA, directeur de la Commission diocésaine Justice et Paix de Cyangugu, assure une pastorale dans la prison de Rusizi qui compte 3 850 détenus, dont 1 300 hommes incarcérés pour cause de génocide. 

Pendant son voyage au Rwanda en décembre dernier, Agnès Sebaux, du service communication de l’AED international (ACN), s’est entretenue avec lui.

Pouvez-vous nous rappeler comment ces personnes ont été condamnées ?

Ce sont les tribunaux populaires appelés « Gacacas » qui les ont jugées. Gacaca signifie « herbe douce » en kinyarwanda, c’est-à-dire l’endroit où l’on se réunit. À l’origine, les Gacacas permettaient de régler des différends de voisinage ou familiaux. Il s’agissait d’une assemblée villageoise présidée par des anciens où chacun pouvait demander la parole. Ces tribunaux ont été réactivés pour accélérer le nécessaire procès des quelques centaines de milliers de personnes accusées de participation au génocide.

Les hommes qui restent incarcérés vingt-neuf ans plus tard sont ceux qui n’ont pas voulu avouer et reconnaître les faits incriminés, ou bien ceux qui ont perpétré des crimes dans plusieurs secteurs et leurs peines ont été cumulables ou bien encore ceux qui étaient les prédicateurs de ce génocide et qui donnaient les ordres.

Pouvez-vous me raconter une de ces réconciliations ?

Oui, par exemple celle de Herman H. et Gaston N. de Mibirizi. Herman était responsable de la cellule pendant le génocide perpétré contre les Tutsis et il a tué beaucoup de gens. Ayant reconnu devant la juridiction Gacaca sa grande responsabilité dans le génocide, la première sentence de peine de mort a été commuée en peine de 25 ans de prison. Voici ce qu’il a témoigné lors de la journée officielle d’unité et de réconciliation :

« Quand je suis sorti, je n’avais plus le sens de la vie. J’étais dérangé. Je ne pouvais pas aller à la messe ni au marché. Je voulais tout simplement rester enfermé dans mon foyer. Si on m’avait donné le choix, j’aurais alors préféré retourner en prison au lieu de vivre comme ça. L’abbé Clément, curé de ma paroisse, a fait savoir qu’il voulait rencontrer les prisonniers libérés et les membres de leurs familles. Il est venu chez moi. J’ai commencé avec lui ce processus qui n’était pas facile, mais il a continué à être à mon côté jusqu’à ce que je puisse rencontrer Gaston N., le chef de la grande famille que j’ai exterminée. Je lui ai demandé pardon et il m’a pardonné».

De son côté, Gaston N. n’oublie pas son calvaire et toutes les tortures de Herman H. Il en a encore des cicatrices. Il est resté longtemps dans la haine mélangée au traumatisme. C’est grâce à l’accompagnement des animateurs psychosociaux de la commission Justice et Paix de Mibirizi qu’il a pu entreprendre le processus de réconciliation. Il a dit que son cœur a été bien libéré et il a sincèrement accordé le pardon à Herman. Actuellement ils vivent bien. Il n’y a plus de préjugés et de suspicion entre eux.

En 2023, la commémoration du génocide coïncide avec la célébration du Vendredi Saint. Est-ce un signe pour vous ?

Oui, certainement ! C’est un signe révélateur que Dieu est avec nous dans nos moments douloureux. Pendant le génocide, beaucoup de Rwandais, très croyants, se sont demandé où était Dieu, surtout qu’il y avait un adage rwandais très connu disant : « Dieu passe sa journée dans d’autres pays et rentre toujours passer la nuit au Rwanda ! » Beaucoup se posent encore la question du silence de Dieu devant leur souffrance ! La réponse à cette question peut être trouvée dans le mystère que nous célébrons le Vendredi Saint : Dieu était avec ses enfants souffrants, ses justes persécutés, ses innocents massacrés. N’oublions pas qu’après le Vendredi Saint, il y a la fête de Pâques, signe de victoire de la vie sur la mort, signe d’espérance d’un avenir meilleur en Jésus-Christ.

Questions complémentaires 

1. Pourriez-vous évoquer en quoi a consisté votre engagement ?

Mon engagement comme sacerdotal consiste à vivre pour Dieu et pour les autres.  Par ma vocation, je me suis senti attiré à mettre ma vie et mes capacités au service des autres. Une vie qu’on mène pour Dieu et pour le bien des autres, en les rendant plus heureux et les aider à se réaliser reste mon idéal. J’éprouve beaucoup de joie en vivant ainsi. 

Comment se préparer à se donner soi-même totalement, à se fondre dans le projet qu’Il a pour vous ?

Se donner soi-même ou vivre pour les autres est un don de Dieu, pour y arriver, il faut toujours rester connecté à lui et lui demander de nous guider et nous aider pour accomplir sa volonté. Cela, je le fais par la prière quotidienne. En plus de ce soutien divin, vient le soutien familial, des amis et connaissances sans oublier la  communauté chrétienne. Leur soutien me rassure : Je ne suis pas seul sur le chemin. 

2. Quelle est la source d’inspiration de votre lien avec vos frères ?

Pour moi la source d’inspiration est le Christ. Le Christ nous a ouvert le chemin et nous apprend chaque jour, à travers sa Parole, comment marcher dans ce chemin. Je suis aussi inspiré par de bons témoignages des saints et de toute personne, laïque ou consacrée qui a incarné ou incarne des valeurs évangéliques et humaines.

3. Avez-vous parfois le sentiment que vos mots sont ceux du Christ et vos gestes les siens ?

Oui, souvent j’ai ce sentiment et je désire le garder pour toujours. Cela se fonde sur mon identité de baptisé : par le baptême, je suis devenu chrétien, en plus de cela le Christ m’a fait confiance en m’appelant au sacerdoce ministériel. Par cette vocation, je suis appelé à incarner le Christ et à opérer dans son nom. En exerçant mon ministère et surtout en célébrant la messe, en administrant les sacrements, en rendant témoignage d’amour dans ma mission quotidienne, j’éprouve le sentiment de vivre l’imitation du Christ.

4. Quelle source nourrit votre engagement ? Votre amour de vos frères ?

Ma source intarissable a été toujours l’Evangile en le lisant et en le méditant j’y trouve la raison de mon engagement et ce que mon engagement de chrétien sacerdoce exige. En tout l’amour est prioritaire et constitue « l’examen d’admission au ciel » auquel je suis invité à répondre chaque jour. Je garde en mémoire que, au dernier jour, nous serons jugés sur l’amour du prochain et que Jésus nous a dit qu’on nous reconnaîtra sur l’amour. 

5. Avez-vous une « recette» pour transmettre le message de l’Évangile à des personnes qui souffrent tellement que parfois des considérations hautement spirituelles les dépassent ? Face à la violence ? Face à la haine ?

J’ai expérimenté que parler aux souffrants, aux justes persécutés ou aux victimes de la haine et violence humaine n’est pas chose facile. Mais, comme le disait sainte Thérèse de Calcutta : « la personne qui souffre a besoin du Christ parce qu’en dehors de lui pas d’autres solutions. »  Dans mes échanges avec ces personnes, je les invite à considérer Jésus sur la croix et espérer qu’après le « vendredi saint » il y aura la fête de « Pâques ». En d’autres termes que le mal n’aura jamais le dernier mot sur nous. En plus de cela, chez nous, nous avons une bonne référence, la Vierge Marie qui est apparue à Kibeho nous a donné un message de renfort disant que dans la souffrance elle est avec nous comme au pied de la croix, qu’il ne faut pas désespérer. Faisant référence à la tragédie du génocide, elle nous a révélé que la souffrance est la conséquence du péché dans le monde et qu’il faut la conversion. Quand on est dans la bonne voie, même si on souffrirait, cela sera une souffrance avec joie et espérance. 

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