La guerre civile continue de ravager la République centrafricaine. Face aux armes, trois leaders religieux s’unissent et sillonnent le pays au risque de leur vie pour semer la paix. Selon le témoignage de l’archevêque de Bangui, les armes se taisent devant leur parole douce, humble, mais déterminée.

Mgr Dieudonné Nzapalainga – Imam Omar Kobine Lamaya

« Dans l’histoire de la Centrafrique, il n’y a jamais eu de guerre de religion. Or, maintenant, il se prépare une guerre de religion. » affirme le Cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui. La Seleka, « coalition » en Sango, est une milice armée qui s’est levée suite aux problèmes de gouvernance du pouvoir central : en effet, les populations du Nord se sentent abandonnées, sans infrastructures, telles écoles, hôpitaux et routes. La Seleka sème le chaos par de nombreux pillages, massacres et viols. Cette milice recrute ses hommes dans les no man’s lands des frontières tchadiennes et soudanaises dans des marchés aux mercenaires. Le conflit qui oppose la Seleka, plutôt musulmane, à la population centrafricaine est d’abord politique et social. Face aux exactions Selekas, les milices d’auto-défenses dites « anti-balakas » ont émergées. Nommées ainsi en raison des grigris censés protéger des balles des fusils d’assaut AK 47, elles sont constituées de chrétiens et d’animistes, qui représentent la majorité de la population centrafricaine. Craignant un glissement du conflit vers une récupération confessionnelle, trois leaders religieux se sont levés pour faire taire les armes, au nom de Dieu.

Une « solution russe » problématique

Centrafrique - Combattants des milices Anti-Balaka
Combattants des milices Anti-Balaka

« Les Russes sont là un peu parce que la France y a contribué. » ironise aimablement Monseigneur Nzapalainga. Après le départ de l’armée française et la fin de l’opération militaire Sangaris en 2016, les rebelles ont regagné du terrain, l’armée étant « miniature ». « On formait les militaires, mais on n’avait pas d’armes car le pays est sous embargo » précise le cardinal. Face aux exactions croissantes, le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra élu en 2016, a demandé à son homologue français de lui vendre des armes ou au moins de plaider sa cause à l’ONU. Mais la France l’a orienté vers des armes saisies vers les côtes somaliennes, et de se tourner pour cela vers la Russie. La Russie, à son tour, a répondu à Touadéra qu’elle ne lui vendrait pas ces vieilles armes saisies, mais plutôt des récentes en contrepartie de l’envoi d’instructeurs en Centrafrique. Ainsi sont arrivés les Russes avec notamment le groupe paramilitaire Wagner, qui nourrit un sentiment anti-français. Les richesses naturelles sont convoitées et les droits de l’homme bafoués, selon l’ONU. Touadéra, qualifié par Emmanuel Macron d’« otage du groupe Wagner »[1], s’en mordra-t-il les doigts ?

L’Église a un poids considérable dans le conflit

Lorsque les rebelles de la Seleka ont incendié plus de 1300 maisons dans les villages autour de Bozoum, la maison d’un catéchiste a été épargnée. Il avait mis un chapelet à la porte.

« L’Église joue un grand rôle parce que les évêques rencontrent chaque année le président et nous avons toujours un message. Certes, nous avons toujours notre indépendance, mais nous analysons régulièrement la situation et ensuite nous faisons des propositions. Le président accepte ou non, mais cet espace d’échange existe. » rappelle Mgr Dieudonné Nzapalainga. L’Église catholique n’agit pas seule. Elle collabore étroitement avec deux autres leaders religieux : le pasteur Nicolas Guerekoyame-Gbangou, chef de l’Alliance évangélique et – jusqu’en novembre 2020 – l’imam Omar Kobine Lamaya, président du Conseil supérieur islamique centrafricain, décédé le 28 novembre dernier. Il était co-fondateur et président de la plateforme des confessions religieuses de Centrafrique.

« La plateforme a un grand rôle et si nous nous sommes levés pour parler, ce n’est pas pour un temps. C’est pour rester avec les gens. » insiste le Cardinal. Mais au-delà de la plateforme des confessions religieuses, c’est sur le terrain que se déjouent certains conflits et que les armes reculent.

La vie de prière et le chapelet sont les armes de la paix.

Attaque par les milices Selekas près de Bozoum.

Le trio religieux arrive ainsi un jour dans une ville où trois personnes ont été tuées et quelques autres blessées. Les rebelles étaient postés à 17km, de l’autre côté du fleuve. Le cardinal raconte : « Nous avons encore roulé 10 km, jusqu’au fleuve. Les rebelles avaient bloqué le bac de leur côté et détruit le pont. On laisse les véhicules, on sort, ça commence à tirer des rafales. J’ai dit à tous ceux qui étaient avec moi ‘ils sont en train de nous souhaiter la bienvenue, n’ayez pas peur.’ J’ai fait un signe ‘Coucou, c’est nous, on vient d’arriver, envoyez la pirogue.’ (sic). Ils ont envoyé la pirogue qui nous a embarqués. De l’autre côté, on nous a fait attendre quelques minutes, puis on nous a fait avancer jusqu’à 500m du général de brousse, qui s’est énervé ‘Dégagez de là ! Qui vous a dit de venir ?’ Nous nous sommes retirés pour attendre encore. Si je commence à sortir mes attributs (cardinal, évêque, grand monsieur), ça ne sert à rien. Il faut vous faire tout petit, être humble. Je pars pour négocier la réduction des violences. Je me fais tout petit, je reste là sous le soleil. Je sais que plus tard, la vie des hommes et des femmes sera protégée. Quand ils ont fini de manger, les rebelles sont revenus et se sont installés. Et le dialogue a commencé prudemment. »

Visite de l’archevêque Dieudonné Nzapalainga au camp Beal, avec les ex-combattants de la Seleka

Ce dialogue, mené paternellement par l’archevêque, a permis de désamorcer la violence. En effet, un des jeunes rebelles qui écoutait l’échange lui a confié au moment du départ du groupe de religieux : « Papa (sic), tout ce que vous avez dit, ça m’a touché. Moi, j’ai envie de quitter. Mais si je quitte, ils me tuent, ou si on quitte ensemble, ils vont nous tuer. Prie seulement pour nous.» Mgr Nzapalainga conclut : « Deux jours après, quand ils sont arrivés dans leur ville, ils ont tous quitté. Ça veut dire que les gens écoutent les messages que nous faisons passer. »

Anne-Marie MICHEL


[1] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210531-centrafrique-macron-juge-le-pr%C3%A9sident-touad%C3%A9ra-otage-du-groupe-wagner

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