En 2015, Olivier Hanne, islamologue et chercheur-associé à l’université d’Aix-Marseille décrivait ce qu’il estimait « le scénario le plus probable pour 2020 au Sahel ». Dans son livre rédigé avec l’officier instructeur Guillaume Larabi, Djihad au Sahel, il envisageait une expansion des groupes armés terroristes au Sahel au détriment de l’autorité des États et une incapacité des pays africains à se passer de l’aide de la France. Leurs prévisions ont été confirmées par l’actualité.

Loin de se désengager du Sahel, la France vient d’annoncer l’envoi d’un renfort supplémentaire de 600 hommes pour l’opération Barkhane. Voyez-vous une solution de sortie de crise pour le Sahel ?

Les Groupes armés terroristes (GAT) sont installés pour longtemps. Ils font régner leur loi dans de vastes portions du Sahel. Ils obtiennent des revenus réguliers grâce à l’extorsion de fonds à la population locale, mais aussi à la part qu’ils prennent sur les commerces illégaux. Ils contrôlent des zones de transits de migrants, qui sont des proies faciles pour le trafic d’être humains. Et ils profitent aussi du trafic de drogues, dont une grande partie passe par le port de Lagos au Nigeria et remonte clandestinement vers l’Europe. La cocaïne, venue d’Amérique du sud, voyage à travers le Sahara souvent cachée dans des pneus gonflés.

Mais n’est-ce pas contradictoire, pour des groupes aux revendications religieuses, de s’adonner au trafic de stupéfiants ?

Il est exact que les GAT soignent leur image de bons croyants, et le plus souvent ils ne se salissent pas les mains avec les drogues. Ils laissent agir des groupes de malfrats auxquels ils prélèvent une taxe. La pratique de la zakât, la dîme islamique, sur les produits de contrebande a été jugée conforme aux règles du djihad dès 2001 par le salafiste égyptien al-Tartusî. C’est de la pure tartuferie. Beaucoup, parmi les guerriers djihadistes, proviennent eux-mêmes du milieu du banditisme. Et d’une façon générale, il n’y a pas un discours très construit parmi les Groupes armés terroristes sahéliens qui se revendiquent islamique, même si ils font référence au « Califat », autrement dit à Daech. L’armée nigérienne, par exemple, relève que les prisonniers issus des GAT ne sont pas pratiquants et ne font pas leurs prières quotidiennes.

Comment expliquer que ces groupes obtiennent l’adhésion d’une partie de la population dans les zones qu’ils contrôlent ?

Les zones en question sont profondément déshéritées, abandonnées par l’administration. Avant même la colonisation, c’étaient des lieux où l’économie reposait sur des trafics illégaux. L’État y est perçu comme lointain, illégitime, corrompu. Les jeunes peuls ou touaregs ont bien conscience d’être dans une impasse, sans perspective. Ils vivent dans des sociétés très hiérarchisés, sous la domination des chefs religieux et des chefs de famille. Pour eux, le djihad est un moyen d’émancipation. Il est tout à fait frappant de constater qu’ils s’en prennent d’abord aux chefs de villages, aux anciens, dans les zones qui passent sous leur contrôle. Je crois que le succès des GAT s’explique en grande partie par la montée en puissance de ces jeunes qui ont soif d’action, l’envie d’en découdre. C’est pourquoi, en particulier, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) remporte autant de succès depuis sa création en 2015. Il se montre plus actif et agressif que d’autres groupes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique, par exemple.

Comment ces groupes armés terroristes, qui ne disposent pas de très grands moyens, peuvent ils emporter des succès sur le terrain face à des armées régulières ?

Ils sont très mobiles et n’ont pas besoin de grands moyens. Ils attaquent et se dispersent avec facilité. Et surtout, ils profitent de l’état des troupes qu’ils ont en face d’eux ! Au Mali, un poste a pu être attaqué impunément par des terroristes car les soldats ne tenaient pas la garde. C’est pourtant la base de l’instruction militaire et voir ce type de comportements après soixante ans de coopération franco-malienne a de quoi rendre pessimiste pour l’avenir. Il y a un manque de confiance entre les soldats et leur hiérarchie qui donne des résultats désastreux sur le terrain. Au Burkina Faso, l’État commence à armer les civils, ce qui est très inquiétant. L’expérience prouve que c’est la meilleure manière de semer les graines de la guerre civile.

Comment la situation va-t-elle évoluer à présent ?

Dans les cinq prochaines années, je crains que l’expansion territoriale des GAT se poursuive. Les trafics vont s’organiser, augmenter. Après avoir étendu leur emprise sur le Sahara musulman, les lieux où cohabitent chrétiens et musulmans sont les prochaines cibles. Au Burkina Faso, au Nigeria, les équilibres qui pouvaient exister sont menacés. Et dans les cinq prochaines années les États africain auront toujours besoin du soutien de la France pour empêcher la catastrophe. Sans l’opération Barkhane, le Mali serait d’ores et déjà coupé en deux. Et une tentative de coup d’État au Tchad aurait peut être aboutit en 2013. Cela nourrit la propagande des djihadistes, qui jouent sur le ressentiment anti-français, mais il n’y a pas d’autres solutions pour empêcher que la situation ne dégénère encore plus gravement.

 

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