Frère de la Province de France vivant à l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO) au Caire, Adrien Candiard a publié plusieurs livres concernant l’islam, le dialogue interreligieux ou la spiritualité. Son dernier, « Du Fanatisme. Quand la religion est malade » est plus que jamais d’actualité. Il se confie à l’AED dans une tribune publié dans L’Église dans le Monde*.

Nous avons dû nous tromper quelque part. L’Occident pensait avoir trouvé la martingale face aux violences religieuses, dont il avait connu les ravages les plus meurtriers au XVIe siècle, lors des guerres de religion. Puisque, pensait-on depuis les Lumières, le fanatisme naissait d’un excès de religion, il suffisait donc de réduire la place de la religion dans nos sociétés, renvoyer la religion dans la sphère privée, pour que les conflits religieux disparaissent et que le fanatisme s’apaise.

Apparemment, c’est raté. Notre société ne cesse de se séculariser, mais nul ne se hasardera à dire que la violence religieuse a diminué pour autant.

Si le remède a échoué, c’est peut-être que le diagnostic n’était pas bon. Dans mon dernier ouvrage, je m’efforce de prendre acte de cet échec et de proposer une autre compréhension du fanatisme. Plutôt qu’un excès de religiosité, le fanatisme est au contraire une absence de Dieu. Bien sûr, les fanatiques ont sans cesse Dieu à la bouche, mais ce n’est pas de lui qu’ils s’occupent.

C’est que Dieu est bien malcommode : infini, il est plus grand que nous, que nos tentatives de nous l’approprier. Il est alors tentant de le remplacer par des objets plus disponibles, plus manipulables. Cette tentation n’est pas nouvelle. La Bible la nomme idolâtrie. L’idole qu’on se choisit n’est pas toujours religieuse : dans notre histoire, des concepts séculiers — la race, l’histoire, le progrès, la planète… — ont pu aisément faire l’affaire, et provoquer des fanatismes qui n’avaient rien à envier aux fanatismes plus directement religieux. Ces derniers sont plus subtils : ils remplacent Dieu par quelque chose qui lui ressemble, et qui peut-être vient de lui. Le cœur de l’homme peut se faire idole de tout, même de la Loi de Dieu, du culte qu’on lui rend, ou des hommes qui parlent en son nom. Chrétien, on peut devenir idolâtre de la Bible, ou de la messe. Nul doute que la Bible et la messe soient toutes deux nécessaires et excellentes, mais ce sont des réalités créées, limitées, relatives à Dieu qui seul est absolu. Si la foi en Dieu nous libère, l’idolâtrie au contraire nous enferme, dans les limites forcément étroites de l’objet de notre adoration. Les idoles ne libèrent pas, mais créent de l’obsession, du scrupule, de la peur. Elles conduisent à la rigidité et au fanatisme, parfois violent.

Si ce constat est exact, si le fanatisme naît toujours de l’idolâtrie, on comprend alors pourquoi renvoyer la religion à l’espace privé ne permet pas de faire reculer le fanatisme. Il semble même au contraire que cette obsession française soit plutôt contre-productive : en particulier, en rejetant la théologie hors des frontières de l’Université, nous avons affaibli les ressources de cette approche méthodique, rationnelle et critique (c’est-à-dire non pas négative, mais consciente d’elle-même), de la foi religieuse. Or il est urgent d’apprendre à reparler de religion, de façon construite et constructive ! Car une religion n’est pas seulement un élément d’identité, c’est aussi le lieu de convictions, parfois passionnées, parfois traversées par le doute. Et de ces convictions, il est possible de discuter, y compris avec ceux qui ne les partagent pas. C’est la possibilité de cette discussion qui constitue certainement le premier et le meilleur remède, face à la tentation idolâtre du fanatisme.

Article publié dans le magazine de l’AED: L’Eglise dans le monde, n°201, Décembre 2020-janvier 2021

 

 

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