En septembre 2022, de nouvelles incursions de l’armée de l’Azerbaïdjan ont réveillé la crainte de anéantissement pur et simple chez les Arméniens. Reportage auprès d’un peuple menacé et oublié, à retrouver dans notre magazine L’Église dans le monde.

Karen Hakobyan a 60 ans et les cheveux gris. Ce luthier d’une sensibilité touchante nous reçoit dans le jardin paisible de sa maison, à Erevan. L’air embaume le raisin et la pomme. « Karen, peux-tu jouer quelques notes de l’hymne national arménien ? » L’artiste sourit timidement, étonné, presque gêné : « On ne me l’a jamais demandé… » La mélodie s’élève, douce et déchirante. L’émotion est palpable.

Cet hymne « Notre Patrie » a été joué et chanté tant de fois pour accompagner des milliers de jeunes Arméniens à leur dernière demeure, tués au combat contre l’Azerbaïdjan, ce belliqueux voisin, trois fois plus grand et plus peuplé que l’Arménie, doté de réserves pétrolières considérables et d’une puissante armée. Le chant rythme le destin tragique de l’Arménie depuis son indépendance (1991) : « Frère, voici un drapeau pour toi. Je l’ai fait de mes mains, les nuits où je ne dormais pas. Je l’ai lavé de mes larmes… » Les larmes d’une longue histoire, la grandeur passée, les siècles de souffrances : invasions arabes, occupation turque, raids mongols, colonisations perse et russe.

« Nous avions connu les discriminations et les persécutions avec l’arrivée de l’islam, rappelle Aram, franco-arménien né en France. Le génocide turc de 1894 à 1920 a fait disparaître les deux tiers des Arméniens et les neuf dixièmes de notre territoire historique. » Aram est revenu s’installer en Arménie, en charge des activités de SOS-Chrétiens d’Orient à Goris (sud), la région la plus menacée par la guerre. Il veut rester, avec sa jeune femme et son bébé. Se battre pour défendre la terre de ses ancêtres et l’exclave arménienne du Haut-Karabagh (Artsakh en arménien), ce cœur historique et religieux que l’Azerbaïdjan veut récupérer, par la force, par la terreur, comme l’attestent tant de vidéos horribles de viols et de mutilations. D’autres jeunes préfèrent partir, pour étudier et travailler ailleurs dans le monde.

Au cimetière militaire de Yeraplur, des milliers de drapeaux claquent au vent, face au mont Ararat. Les tombes racontent les guerres : 1988 à 1994, 2016, 2020, 2022, avec de nouveaux bombardements. Elles disent les souffrances d’un pays martyr mais aussi la résilience et l’espérance d’un peuple chrétien (98% des habitants se disent croyants). C’est tout le sens de la prière de Karekin II, patriarche de l’Église apostolique arménienne autocéphale : « Seigneur, tu as voulu que notre peuple, condamné à mort par un plan génocidaire, parvienne à vivre et ressusciter afin de présenter sa juste cause à la face de la conscience humaine et au droit des peuples. »

« Mais on nous oublie », entend-on souvent en Arménie. Anahit, une jolie brune qui rêve de connaître Paris, savoure la soirée à une terrasse de la rue Abovian, au centre d’Erevan. Elle s’insurge : « Le premier État chrétien du monde ne peut quand même pas disparaître. » Ironique, elle fait rire ses camarades : « Savez-vous au moins depuis quand on est chrétien ici ? » Mais oui, Anahit, tout visiteur l’apprend dès son arrivée : en 301, grâce à Saint Grégoire l’Illuminateur.

Anahit et ses amies sont surprises de voir des Français s’intéresser encore à leur pays : « Nous n’avons pas de pétrole, pas de gaz. Nous ne pesons rien face à la puissance et l’influence des Turcs. » Elles savent cependant que la France reste un ami constant de l’Arménie, comme l’a rappelé Emmanuel Macron. « Les mots bienveillants et les prières sont nécessaires mais notre pays a aussi besoin d’un soutien plus actif, comme des équipements de défense par exemple, disent en privé les responsables arméniens rencontrés à Erevan. La France a bien sûr d’autres préoccupations mais nous sommes votre première ligne face au monde islamique. »

Pour les Arméniens, l’ennemi sont les Turcs, ceux de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan et de l’Azerbaïdjan d’Ilham Aleiv. « Ils n’ont pas renoncé à nous exterminer, insiste Tigran, jeune vendeur au bord du lac Sevan. Nous sommes des survivants. Ils nous appellent « les résidus d’épée », ceux qu’ils n’ont pas encore liquidés. Alors, ça recommencera… »

Frédéric Pons

Article à retrouver dans notre magazine L’Église dans le Monde.

Nos actualités

Arménie | Les dernières actualités

Nous soutenir

Votre soutien nous est nécessaire

Apportez votre pierre à l’édifice, donnez et vous recevrez ! « Donnez et il vous sera donné : on versera dans votre sein une bonne mesure, serrée, secouée et qui déborde ; car on vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis. » (Luc 6, 38)

Faire un don Tous les moyens d'aider
Faire un don