Le 19 septembre, 100 000 arméniens de l’Artsakh (Haut-Karabagh) ont été chassés de leur terre ancestrale par l’Azerbaïdjan, après neuf mois de blocus. Malvina Hayrapetyan a témoigné pour l’AED de l’enfer vécu par sa famille, native de cette région, devant 500 jeunes réunis à la Trinité à Paris. Nous publions ci-dessous l’intégralité de son témoignage.

Une mère pleure son fils mort au combat en Arménie

Bonjour chers amis, je suis heureuse que la foi en Dieu et l’attention portée aux uns et aux autres nous unissent ce soir.

Je suis Arménienne, venant de l’Artsakh. Beaucoup d’entre vous sont probablement conscients de ce que mon pays et mon peuple ont vécu. J’ai entendu dire que beaucoup ont prié et prient encore pour nous. Merci beaucoup.

Au cours des trois dernières années, mon peuple a connu deux guerres, a eu de nombreuses pertes humaines et a perdu son Artsakh natal.

Je suis née et j’ai grandi en Artsakh, dans le village de KERTE de la région de MARTOUNI. J’ai vécu au village jusqu’à mon mariage en 2016, après nous avons déménagé dans la capitale, Stepanakert.

La fondation de notre village a eu lieu en 1460. Les habitants ont toujours été exclusivement des Arméniens. Mon ascendance a ses racines les plus profondes dans ce village. Il est entouré de collines et de montagnes. Il y avait un petit étang à coté de chez nous, mon endroit préféré. Il y a une église, une école, une administration, une bibliothèque…Je n’ai pas pu dire un dernier au-revoir à mon lieu de naissance, ni à ma maison, ni à ma ville bien aimée de Stepanakert. Ça me manque tellement. La dernière fois que j’étais à la maison, c’était le 30 septembre 2022. Comme si mon cœur pressentait ce qui allait se passer, je suis restée longtemps sur le seuil de ma maison que je n’arrivais pas à quitter. Je suis arrivée en France le 1er octobre 2022.

Je veux vous raconter aujourd’hui ce qui s’est passé en Artsakh au cours des trois dernières années. Il y a 3 ans, le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan a déclenché une guerre non déclarée contre mon petit pays, avec les armes de la dernière génération, des armes interdites, des bombes au phosphore. Le rapport de puissance était de 1 pour 7. Nous avons vécu un enfer pendant 44 jours. Je ne peux pas décrire ce que c’était, ni raconter la douleur que nous avons ressentie. L’offensive a commencé un dimanche. Cette nuit-là, j’étais seule à la maison, mon mari était allé dans notre village pour aider son père à récolter le raisin. A 7h, j’ai entendu une forte explosion, puis une deuxième et une troisième. J’ai tout de suite compris ce qui se passait. Je me suis immédiatement habillée et j’ai frappée à la porte du voisin. C’est un policier, il était en train de sortir.

 Je lui ai demandé :

– Qu’est-ce qui se passe ?

– C’est une guerre ! Ne restez pas à l’étage, descendez au sous-sol le plus vite possible, m’a-t-il dit, en descendant les escaliers en courant.

Au bout de quelques minutes, la ville, innocente, était remplie de tanks et de véhicules blindés. Tout le monde s’est précipité vers la frontière. Toute ma famille, c’est-à-dire mes grands-mères, mon grand-père, mes parents et beaux-parents, mon frère et mes sœurs, tous étaient sur la scène de guerre. Mon frère a été à la frontière pendant la guerre car il est soldat, commandant. Mon mari a aidé les blessés à l’hôpital car il est médecin. La guerre a duré 44 jours. Notre armée a essayé de résister, non seulement contre l’Azerbaïdjan, mais aussi contre la Turquie, le Pakistan et Israël et d’autres pays qui ont fourni une aide directe à l’Azerbaïdjan.

Au final nous avons perdu 75% de notre territoire. Nous avons eu 4000 victimes et 11000 blessés. 10 personnes de notre village sont mortes. Mon frère a été blessé, Dieu merci sans gravité.

Beaucoup de femmes ont perdu leur frère, leur mari, leur enfant. Pendant cette période, la plupart des femmes et enfants ont été évacués en Arménie et moi aussi.

Pendant tout ce temps, je priais sans cesse. J’ai demandé à Dieu de sauver la vie de mon frère, de mon mari, de mes parents, de tous ceux que je connaissais sur le front, mes élèves, j’ai cité les noms de tous ceux que je connaissais. Et vous savez quoi ? tous ceux que j’ai nommé dans mes prières ont survécu. Dieu est bon n’est-ce pas ? J’aurai aimé pouvoir nommer tout le monde dans ma prière, peut-être qu’ils auraient tous pu être sauvés.

Malvina à l’église de la Trinité à Paris

La guerre s’est terminée par notre défaite, malheureusement. L’Artsakh s’est transformé en enclave, des soldats russes sont apparus pour maintenir la paix.

Avant la guerre, notre population était de 146 000 personnes. Après, pensant que nous serions de nouveau en sécurité avec la présence des Russes, nous sommes retournés en Artsakh, nous étions environ 120 000. Nous avons commencé à reconstruire les maisons, les écoles endommagées par la guerre ont été réparées…la vie semblait se remettre en place. Mais pour une courte durée.

Il y a un peu plus d’un an, comme je l’ai déjà dit, le 1er octobre 2022, je suis venue en France pour une courte période suite à un problème personnel. Mais un mois et demi plus tard, mi-décembre, la seule route reliant l’Artsakh à l’Arménie a été fermée par les Azeris sous un faux prétexte. Je ne pouvais plus rentrer chez moi ! j’étais coupée de tous mes proches. Ma région, l’Artsakh a été coupée de tout approvisionnement du jour au lendemain !

Nous n’avions aucune économie indépendante, tout était importé d’Arménie. En une semaine, les fruits et les légumes ont été entièrement consommés. Peu à peu, la nourriture est devenue si rare que notre gouvernement a été obligé d’organiser un système de vente avec des coupons alimentaires. Le blocus était plus difficile pour les enfants, ils demandaient des bonbons, du sucre, des bananes, des jus…30 000 enfants et 20 000 personnes âgées se sont retrouvés ainsi sans nourriture normale, ni vitamines. De même pour les femmes enceintes. Les hôpitaux annulaient leurs opérations chirurgicales en raison du manque de médicaments et d’équipements. Puis ils ont définitivement coupé l’approvisionnement en gaz naturel. La seule centrale hydroélectrique restée sous notre contrôle après la guerre de 2020 ne pouvait plus fournir d’électricité. Nous avons subi des coupures d’électricité d’une heure au début puis de 2, de 3 voire 6 heures par jour. Les écoles et les crèches ont été fermées parce qu’il faisait trop froid, notre région étant montagneuse. Les élèves malnutris s’évanouissaient en classe. Pour acheter des œufs, des produits laitiers ou du pain, les gens faisaient la queue dès 4 heures du matin. Il y avait jusqu’à 300 ou 400 personnes dans les files d’attente. Il était parfois possible de transporter des patients en Arménie par l’intermédiaire de la Croix Rouge, mais il y a eu plusieurs cas d’enlèvements. Un homme de 68 ans , Vagife Xachaturyan, qui se rendait en Arménie pour une opération cardiaque, a été ainsi enlevé des mains de la Croix Rouge et emmené à Bakou. Il a été dernièrement jugé à 15 ans de prison en Azerbaidjan.

Du 12 décembre 2022 au 19 septembre dernier, pendant 9 mois, il nous a semblé vivre un enfer mais le pire était encore devant nous.

C’était le matin du 19 septembre, il y a deux mois. Il était 11h20 à Paris. En Artsakh, il était 13h20. Mon mari, resté au pays, m’a écrit : « ça va ? ». J’ai tout de suite senti que quelque chose n’allait pas, j’ai regardé les nouvelles et oh mon Dieu, j’ai compris que c’était à nouveau la guerre. Une guerre contre notre terre déjà très réduite, où il ne restait que l’armée et la population assiégée, à moitié affamée après ces neuf mois de blocus. Je ne peux pas décrire avec des mots ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Tous mes proches étaient là-bas….

Du 19 au 20 septembre, 15h, les bombardements ne se sont pas arrêtés une seconde. Je suis restée éveillée toute la nuit, j’ai constamment prié pour que rien n’arrive à ma famille. La situation était désastreuse, l’ennemi était partout. Les gens ont fui les villages vers la forêt, ils ont marché 20 à 30 km pour échapper au massacre. Mais malheureusement, tous n’ont pas réussi à être sauvés. Nous avons reçu de très mauvaises nouvelles des villages. Décès d’enfants, meurtres de femmes enceintes, enfants disparus…

Après environ 27 heures de dévastation et de génocide, notre gouvernement a fini par accepter un cessez-le-feu.

Mon mari m’écrivait régulièrement depuis la capitale : « je vais bien, n’aie pas peur ». Ensuite, il m’a aussi écrit que mon frère était vivant, alors je me suis mise à respirer un peu. Mais je n’avais aucune nouvelle de notre village, de mes parents.

Alors a commencé une négociation entre nos dirigeants et l’Azerbaïdjan. Notre armée a dû déposer ses armes, le drapeau de l’ennemi devait être hissé dans mon pays c’est-à-dire que l’Artsakh a capitulé. Il y avait un grand chaos, certains enterraient les morts de leur famille, d’autres cherchaient encore leurs proches disparus et d’autres s’organisaient pour quitter la zone afin de ne pas se faire massacrer. Pour la première fois depuis 9 mois, le couloir de Latchine a été ouvert mais dans un seul sens, uniquement pour ceux qui quittaient l’Artsakh. Ce fut le moment le plus douloureux pour moi et pour nous tous, ce moment où tu es chassé de ta propre patrie. Tu dois quitter ta maison. Laisser ce que tu as gagné toute ta vie, tous tes souvenirs, les tombes de tes ancêtres…

Ma famille a quitté le village le matin et est arrivée à Stepanakert, la capitale de l’Artsakh, à 7h du soir. Ils ont conduit pendant 12h pour faire 56 km à cause d’un immense embouteillage. Quand ils sont arrivés, j’ai finalement réussi à parler à mes parents et mes beaux-parents. Mon père était très triste. Il avait construit notre maison de ses propres mains devant laquelle nous avions un grand jardin avec divers arbres fruitiers. Il y avait une grosse vigne, avec lequel il a fait un grand banc, nous y allions l’été. Tout était si beau… Je ne veux pas croire que cela n’arrivera plus. Nous avions beaucoup d’animaux, des vaches, des cochons, des poulets…on a dû tous les laisser, affamés. Mais je ne veux pas parler du passé, je veux croire qu’on rentrera bientôt à la maison

Chers amis, si seulement c’était la fin de ma très triste histoire…

Ensuite une fausse information s’est répandue disant que le couloir de Lachine, par lequel les gens devaient sortir, serait ouvert uniquement pendant quelques heures puis se refermerait. Cela a causé un mouvement de panique dans la foule qui s’est précipitée pour être sauvée au plus tôt. Comme je l’ai déjà mentionné, il n’y avait presque pas de carburants en Artsakh à cause du blocus. Seule une réserve restait pour l’armée, les gens se sont donc tous précipités sur place. Mais ces gros réservoirs remplis d’essence ont commencé à exploser pour des raisons inconnues pour l’instant. L’incendie a projeté les gens en différentes directions …tout brûlait, les gens, les voitures. Mon pays était devenu comme Sodome et Gomorrhe. 290 personnes sont mortes, des personnes ont disparu et il y a eu de nombreux blessés graves, dont certains meurent encore aujourd’hui des séquelles de leurs blessures. Les hôpitaux étaient débordés. Heureusement, grâce aux négociations, il a été possible d’évacuer les blessés par les hélicoptères dès le lendemain.

Mon mari, mon frère, mes sœurs et mes parents, tout le monde a quitté la ville le 26 septembre. Ils sont arrivés à Gorys, de l’autre côté de la frontière, le 28 septembre. 2 jours pour faire 65 km ! Ils sont arrivés épuisés, affamés et transis de froid.

Tous nos anciens dirigeants ont été arrêtés à Stepanakert, kidnappés et emmenés en Azerbaïdjan. Ils sont maintenant dans les prisons de Bakou en Azerbaïdjan.

Sous les yeux du monde civilisé, un peuple ethnique tout entier a été expulsé de sa patrie historique, où il a résidé pendant 3000 ans. Pour la première fois dans l’histoire, l’Artsakh s’est retrouvé sans Arméniens.

Tous les pays et organisations internationales n’ont fait que lancer des appels à la négociation, mais pendant tout ce temps, aucune mesure dissuasive n’a été prise contre le terrorisme, aucune sanction n’a été imposée. Les soldats russes ont seulement assisté au génocide. Une fois de plus, l’argent a pris le pas sur les valeurs humaines. Le pétrole et le gaz ont été jugés plus importants que les vies.

Je voudrais mentionner que parmi tous les pays, la France a été plus compatissante. Pendant les 9 mois de blocus, de l’aide humanitaire a été envoyée personnellement par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui  est venue jusqu’au corridor de Latchine, mais qui malheureusement n’a jamais été autorisée à rentrer en Artsakh.

Aujourd’hui, quand on me demande, ainsi qu’à mes proches, ce que nous ferons demain, la réponse est : « je ne sais pas ». Les survivants ont été installés dans différentes régions de l’Arménie mais ils ont de grandes difficultés pour payer les loyers qui ont doublé de prix. Ils n’ont pas de travail, la nourriture et les médicaments coûtent très chers, ils n’ont pas d’assurance médicale. Mais le plus terrible, c’est qu’aujourd’hui les frontières de l’Arménie sont menacées aussi au sud et à l’est. Nos voisins terroristes Turcs et Azeris exigent les territoires d’Arménie pour pouvoir se rejoindre directement par un couloir. Mais ils ne veulent pas de route, non ils veulent notre terre ! ils déclarent ouvertement : « si vous ne nous les donnez pas, nous les prendrons par la guerre ».

Voici notre réalité que j’ai partagée avec vous aujourd’hui. Je suis désolée d’avoir été un peu longue. Je ne passe pas un jour sans remercier Jésus d’avoir protégé ma famille. Aujourd’hui, l’Arménie et le peuple arménien méritent vos prières. Que Dieu nous protège et que le nombre de croyants augmente !

Que Dieu nous donne la sagesse pour surmonter toutes ces difficultés. Je sais qu’il y a toujours une solution pour ceux qui croient en Dieu, parce qu’il prend toujours soin de nous, pour nous donner un avenir et de l’espoir.

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